Avec un titre pareil, si vous aimez les restaurants à gros volume et à petit talent du style L’Académie et que vous ne soyez pas masos, vous seriez peut-être bien avisés de passer à une autre activité de lecture. Comme je ne suis pas moi-même trop porté sur l’autoflagellation, ce sera une chronique claire.
D’abord les quelques rares bonnes choses, après il sera toujours temps de vous faire partager certains moments douloureux au royaume de l’insignifiance culinaire.
L’Académie est une institution rue Saint-Denis, à l’angle de la rue Duluth. Les trois étages ne désemplissent pas. Hiver comme été, les files d’attente s’allongent sur le trottoir. La SAQ voisine vend allègrement aux clients venus passer un moment à table de quoi arroser leur repas. Sans doute conscients de l’intérêt porté à leur établissement, les propriétaires ont ouvert une deuxième Académie, à Laval sur le Boulevard St-Martin. Formule "Apportez votre vin", comme le premier. Le lieu est immense, démesuré; on entre là et, immédiatement, on pense: "Think big!" Le décor est coquet comme peut l’être un centre commercial neuf. Le volume intérieur est une mise en bouche proportionnelle à l’ampleur de la catastrophe qui suivra.
Le garçon qui s’est occupé de notre table fait très bien son métier, compte tenu des circonstances, et s’acquitta de sa tâche avec élégance et sourire tout au long de la soirée. Qui, pour interminable qu’elle me parut, ne dura que de 18 h 02 à 19 h 11, tel qu’en atteste le reçu remis à notre départ. Il s’appelle Jean-Philippe. Un bien gentil garçon. Grâce à son irréprochable travail, la soirée fut un peu moins désagréable.
Et pourtant à peu près tout le reste y contribua. Au téléphone, quelques jours avant, alors que je voulais réserver, je me fis répondre sur un ton face-à-claques: "À six heures! Après, c’est en file, comme tout le monde. Et soyez à l’heure, on garde les places jusqu’à six heures dix." Généralement, après avoir soupé et payé, j’aime m’identifier et me fais parfois un point d’honneur de demander à parler à la personne qui a pris ma réservation. Ne serait-ce que pour la remercier lorsque le travail a été bien fait ou pour lui dire ma façon de penser lorsqu’elle m’a pris pour un mouton. Ce soir-là, je n’en fis rien. Quand le désastre est aussi total, il vaut mieux prendre une grande respiration et passer à autre chose.
Sur les conseils de la face à claques téléphonique, j’avais réservé pour cinq personnes en spécifiant que nous risquions de n’être que quatre. Une amie de ma fille, pressentant sans doute la calamité de cette soirée, déclara forfait au dernier moment. Cela fit une victime de moins. La jolie jeune femme à la réception parut terriblement contrariée par notre quatuor et nous gratifia de sa plus belle expression excédée. Ce qui me la rendit tout de suite moins sympathique. Je déteste quand une jolie jeune femme me traite avec mépris et condescendance. À 6 pieds 4 et 200 livres (presque tout du muscle) et ayant reçu une bonne éducation, j’ai un peu de difficulté à prendre au sérieux le dédain et l’exaspération injustifiée de jeunes gens payés pour s’accrocher un sourire sur le visage et faire leur métier d’hôtesse avec grâce.
On s’assied, on consulte la carte et on plonge. Une soupe Pasta e fagioli, à faire hurler quiconque aime cette belle soupe rurale italienne normalement si pleine de vie et qui, ici, n’était pleine que d’un insondable vide. Et trop salée. Et diluée. E tutti quanti. Une fondue parmigiana goûtant la fécule et la mauvaise huile de friture; une salade de cœurs d’artichauts sortis d’une boîte de conserve qui a dû être soulagée de les voir partir ailleurs et être noyés dans une vinaigrette insultante pour l’huile, le vinaigre et toutes les bonnes choses qui auraient pu y être. En plats principaux, une pseudo volaille, mal cuite, farcie d’une chose insipide et de quelques moignons d’asperges. Un steak "New York Style", bleu et pourtant dur à mastiquer. Malgré ma demande précise et transmise par le garçon en cuisine, la sauce recouvrait le tout, une sauce laide comme mon humeur à mesure que le repas avançait. Cette vilaine sauce était trop riche de composants inutiles et mal choisis, mal dosés et mal préparés. Les frites étaient molles, avachies dans une posture qui laissait penser qu’elles avaient dû beaucoup en endurer avant de se retrouver là à nous faire souffrir à leur tour. Pour couronner le tout, des légumes d’accompagnement indignes d’une quelconque cafétéria.
Au dessert, puisqu’il faut boire le vin jusqu’à la lie, des choses insignifiantes: une version de l’Opéra, ici insulte suprême au chocolat; un gâteau aux amandes dans lequel on a mis tant d’extrait d’amandes qu’on en vient à craindre de voir l’amandier s’écrouler sur la table; une crème glacée assassine.
La crème caramel était très bien. Mais même le plus cancre des étudiants de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec ne réussit pas à rater une crème caramel.
Ma seule consolation dans ces moments-là est de savoir que je pourrai vous éviter de vous infliger une visite ici. C’est toujours plein, me direz-vous? Justement, n’y allez pas. À quelques minutes de voiture, je peux vous donner l’adresse de plusieurs petits établissements, y compris à Laval, où, pour le même prix, vous mangerez fort bien, serez traités comme des clients, avec respect et déférence, et où l’on ne vous prendra pas pour des valises.
En sortant, je pensais avec émotion à tous ces jeunes – ou moins jeunes – chefs qui mettent tant d’amour dans leur cuisine et qui ont du mal à boucler leurs fins de mois par manque de clientèle. Je fais un merveilleux métier que de vous donner leurs adresses. À l’occasion, je mets aussi malheureusement les pieds dans une chose comme L’Académie. C’est l’autre côté de ce merveilleux métier.
L’Académie Restaurant
1730, boulevard Pierre-Péladeau
Laval
(450) 988-1015
Ouvert de 11 h à 22 h du lundi au vendredi et de midi à 22 h les fins de semaine; 94,61 $ pour trois personnes avant pourboire.