Cela fait exactement trois mois, jour pour jour, qu’il a ouvert ses portes, héritant d’un précédent locataire la majeure partie de son décor, dont cette profusion de vitrages, les panneaux de verre échancrés et ces motifs givrés qui se répètent ici et là: deux serveurs s’empressant de livrer la tour de Pise et la tour Eiffel. Et aussi, nous confirme-t-on, ces grandes photos d’archives qui montrent en noir et blanc le Vieux-Québec, des promeneurs, des scènes de rue ou de neige. Un petit banc d’église fait face à l’entrée, plus lustré que le vieux piano dressé parmi les premières tables. Au moment de prendre place tout au bout de la salle à manger, un coup d’œil par-dessus l’épaule me suffit pour découvrir, un peu en contrebas, une autre salle et un bar apparemment bien garni. L’accueil est bon enfant, rieur et aussi volubile que le service. À ma gauche, un immense miroir annonce en lettres de couleurs quelques vins populaires, Valpolicella, Tuilerie du Puy… Nous avons sous le nez une carte simple qui nous convie à la promenade. Nous avons pour viatique un verre de sauvignon blanc (Catamayor 2003, Uruguay) et une bière en fût (La Cohue). Pour toute boussole: une faim soigneusement entretenue au cours des dernières heures. Tartare ou bavette de bœuf, filet de porc à l’escabèche, confit de canard, "ris de veau de Danny", couscous de La Cohue, saumon à l’orange et thon rouge à la salsa de mangue exercent autant d’attraits que les pâtes au pesto, les linguines aux fruits de mer, le boudin noir, la salade tiède de foies de volaille. Aznavour a eu le temps de nous chanter La Bohème et Que c’est triste Venise, je n’ai pas encore fait mon choix. Sur fond sonore de Michel Rivard, je finis par opter pour le baluchon de ris de veau, tandis que mon amie se laisse aller pour les rillettes de truite. Ces dernières s’accompagnent d’un soupçon de laitue et d’une feuille d’endive décorée de tomate. Quoique excellentes, elles me semblent un peu fraîches, mais celle qui les a commandées ne s’en plaint nullement. Moelleux, soigneusement dénervés et bien assaisonnés, mes ris de veau s’abritent sous une coupole de pâte feuilletée. L’ensemble forme un îlot au milieu d’une petite mer noire, en l’occurrence une réduction de vinaigre balsamique, serrée, caramélisée, sirupeuse, dont le goût s’accorde parfaitement avec celui des ris. Cédant à la curiosité plutôt qu’à la sagesse, nous avions aussi commandé la soupe de poisson maison. La voici, fumante, dans son petit bol blanc, escortée de deux croûtons nappés de rouille et semés de fromage grossièrement râpé. On a fait pour nous une partie du travail; bravo! Il ne me reste plus qu’à me laisser guider par mes instincts et à jouer de mon mieux les Lucky Luke de la cuiller. Du poisson finement effiloché donne sa consistance au bouillon très peu tomaté, de bon goût et légèrement poivré. Mon amie a mangé plus posément. C’est donc en toute sérénité qu’elle voit venir son plat de résistance, sobre d’aspect et fort invitant. Débarrassée de ses cartilages, l’aile de raie a été repliée sur elle-même, nappée de tempura et frite. On dirait une longue bosse dorée, posée sur son lit de légumes (concombres, poivrons et oignons). Aucun traitement intempestif n’a troublé cette chair fine qu’on mâche sans effort et qui jute délicatement en bouche, bien secondée par les accompagnements. Petite salade verte, profusion de frites (disons mi-allumettes) et mayonnaise maison entourent ma bavette de cerf surmontée de mûres et de framboises. La sauce, d’un brun presque noir, a été réalisée avec ces fruits-là. C’est du moins ce que je me suis laissé dire. En fait, elle est si réduite, si serrée qu’on en goûte seulement l’amertume. Trop fort, même pour du cerf. Dans une certaine mesure, la viande se suffit à elle-même -mais seulement dans une certaine mesure. Un peu de sucré fera passer cela, je n’en doute pas. C’est maintenant Carla Bruni qui susurre dans les haut-parleurs: je commande donc un sabayon au marsala. Je n’avais pas compris qu’il était aux fruits… Pas grave. Ce qui l’est un peu plus, c’est qu’on aurait dû plutôt parler de fruits (oranges, pommes, kiwis, etc.) légèrement nappés de sabayon. L’ensemble n’a rien de désagréable, bien au contraire. Mais le sabayon, il me faut littéralement le traquer à la petite cuiller. C’est vrai qu’un peu d’exercice ne fait jamais de tort.
La Cohue
3440, chemin des Quatre-Bourgeois
Carrefour La Pérade
Sainte-Foy (Québec)
Téléphone: (418) 659-1322
Plats à partir de 11,95 $
Menu du jour: 9,95 à 13,95 $
Table d’hôte à partir de 22,90 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 80,81 $