Restos / Bars

La Montée de lait : Première belle petite montée du printemps

Il y a eu à cette adresse de bien jolies petites choses. Avant-hier, Les Baisers volés; hier, Le Margaux. Ça s’appelle aujourd’hui La Montée de lait. Tout un programme.

Avant, la montée de lait évoquait pour moi les réveils à quatre heures du matin, lorsque Marguerite, Blanchette, Noirette et leurs copines menaient grand tapage à l’étable et qu’il fallait sortir du lit, la tête encore pleine de courses dans les nuages. Les mains enduites de crème à traire, on allait calmer cette montée de lait du mieux qu’on pouvait. La joue contre le flanc d’Yvonne – une belle Salers baptisée ainsi en l’honneur de l’épouse du général de Gaulle que ma famille tenait en haute estime -, je retombais souvent dans le sommeil. Très au fait de ses droits et privilèges de première laitière, elle me ramenait à la réalité d’un solide soufflet de sa belle grande queue rousse.

Pendant mes deux passages à La Montée de lait de la rue Villeneuve, un midi de semaine et un soir de fin de semaine, personne n’a eu besoin de me réveiller. Les dynamiques jeunes gens qui ont ouvert "le seul bar à fromages de Montréal" sont en effet si allumés qu’il faudrait être extrêmement fatigué pour fermer les yeux. Allumés et plutôt talentueux. Ils sont tous tombés dans le fromage quand ils étaient petits et ont décidé de faire partager leur amour de la chose à un public de gastronomes curieux.

Menus du midi pour une vingtaine de dollars, menus du soir entre 19 et 34 dollars et un superbe menu dégustation – trois services de huit fromages accompagnés de trois choix de vins. Pour un bar à fromages, il faut admettre que le travail est très bien fait. Et pourrait être une source d’inspiration pour bien des restaurants qui ne font pas trop d’efforts pour servir leur clientèle au mieux de ses intérêts. C’est cher? Moins que Chez la Mère Michel et plus qu’à L’Académie, mais qui veut aller là. La Montée de lait est une belle petite maison avec des gens qui travaillent bien et qui servent des choses tout à fait exquises.

Un midi de semaine, prendre une "Assiette montée", gouda quatre ans, reblochon, camembert et cantal, relève du plaisir simple et champêtre que l’on a en été à étendre une nappe sur l’herbe et à tailler un morceau de pain à même la tourte pour le déguster avec un gros bout de fromage, une tranche de jambon ou un saucisson sec. Mes deux collègues, plus riches et moins laitiers que moi, prirent un carré de raie au brillat-savarin pour le rondelet François et un filet de saumon pour le plantureux Michel. Les deux plats étaient impeccables, bien pensés, bien montés et bien présentés. Mon assiette montée, quatre fromages choisis par la maison, montrait les mêmes caractéristiques. Quatre beaux morceaux présentés sur un plateau de bois, accompagnés d’une petite portion de pâté de caille relevé d’anis, quelques abricots secs et une figue coupée en deux. Esthétique autant que savoureux, le plat permet de redécouvrir des fromages servis ici à leur meilleur degré de maturité, à la bonne température et en parfaite quantité. "Et comme vin, que me conseillez-vous?" demandai-je au garçon dont l’air un peu "épivardé" me ravissait. Il a juste l’air "épivardé". Très à son affaire et connaissant bien sa carte, il suggéra deux ou trois possibilités, dont un judicieux verre de côtes-du-Rhône, s’harmonisant tout à fait avec mon choix de plat. Le bonheur tient souvent à peu de choses.

En soirée, l’ambiance est assez différente. Il faut dire que le local est assez petit et que, même si l’on ne s’y sent pas à l’étroit, l’ambiance se réchauffe assez rapidement. Une vingtaine de places assises, un petit comptoir avec quelques tabourets, Saint-Germain qui joue en sourdine, la lumière de la fin du jour, tout est en place pour une belle soirée. Qui le fut et plus encore. Si la soupe au lait ne passera pas à la postérité, malgré tout le talent de ses concepteurs, le potage du jour, inclus dans le prix du plat au même titre que le dessert, mérite qu’on y fasse le détour. Tout l’arôme du céleri-rave et une goutte d’huile de truffe suffisent à en faire une parfaite introduction aux plats principaux.

Qui, tous sans exception, s’avéreront de belles réussites en termes d’équilibre, de délicatesse et d’à-propos: bar au brie et concassé de fenouil, relevés de vin blanc et de beurre d’agrumes; canon d’agneau au Chevrot, ce subtil petit fromage au lait cru de chèvre venu du Berry, enveloppé de romarin; côte de veau cachant en son sein une fine tranche de Gré des champs, un fromage au lait de vache produit à Saint-Athanase-d’Iberville. Les viandes sont bien découpées, cuites à l’exact degré et accompagnées d’un petit pavé de gratin dauphinois, de quelques tranches de panais, ici mis en valeur autant qu’il met en évidence le reste de l’assiette et d’un petit bouquet d’un de ces nouveaux légumes qui enjolivent les assiettes modernes. De l’asparition, m’a-t-on dit, le fils illégitime d’une asperge et d’un brocoli. Faut être vachement jeune, je suppose, pour s’enflammer pour ça, ma fille en parle encore dix jours plus tard, "Trop cool, papa!".

Un seul dessert, succulent mais quand même, chocolat blanc et fromage de chèvre frais, coulis de fraise et coulis de chocolat blanc. J’ai tiqué devant le choix limité, j’ai cru lire dans les yeux des dynamiques jeunes gens "Yo Man, on va y voir". Je les crois assez généreux pour se creuser un peu les méninges et élargir la palette. Avec une aussi magnifique carte des vins qui offre près d’une centaine de choix dont une belle proportion entre 30 et 50 dollars et une dizaine de très bons vins au verre, une quinzaine de fromages et une cuisine aussi soignée, je ne doute pas qu’ils vous proposent bientôt quelque chose qui va avec le reste.

Au restaurant, j’aime sentir que l’on soigne les clients, qu’on leur fait cadeau de choses nouvelles ou abordées sous un angle différent, qu’on est généreux, qu’on aime ce qu’on fait. J’ai senti ça ici. Croyez-moi, au-delà de mon travail, j’ai aussi un très bon pif. Une belle maison, je vous dis, une bien belle maison.

La Montée de lait
371, rue Villeneuve Est
(514) 289-9921
Ouvert du mardi au dimanche dès 17 h et à midi les mercredis, jeudis et vendredis.

Comptez une quarantaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. À midi, une vingtaine suffira.