N’arrivez pas chez Aix avec vos boules de pétanque, pensant trouver ici une belle allée ombragée de platanes, quelques bancs et des papis à béret. Le pastis est bien derrière le bar, mais le chant des cigales est très loin du Vieux-Montréal. On se demande bien pourquoi avoir choisi un nom si évocateur pour un restaurant si éloigné de la Provence, ou d’Aix-les-Bains ou encore d’Aix-la-Chapelle. Plusieurs autres incongruités viendront plus tard parsemer la visite ici, la principale étant, selon moi, le net décalage entre la cuisine sans tache et l’horripilant décor faux rococo.
Aix occupe l’étage inférieur du magnifique Hôtel Place d’Armes, joyau du patrimoine architectural montréalais. Le jeune homme très sûr de lui venu nous accueillir aurait pu en faire partie lui aussi. Malheureusement, le fait d’ânonner les spéciaux du jour sur une petite liste – même chose dans l’autre langue officielle à une table voisine occupée par des touristes anglophones – disqualifie automatiquement pour l’accession au patrimoine. Ainsi qu’à mon carnet de serveurs méticuleux, ce qui est sans doute un moindre mal. Par chance pour nous, il passa rapidement le relais à une jeune collègue efficace, souriante et ayant eu le temps de mémoriser les quatre nouveaux éléments du menu.
On aurait tort de se laisser rebuter par le côté un peu pompeux du décor car la table d’Aix est tout en souplesse et en simplicité, dirigée par quelqu’un qui connaît son métier. Cette petite crème d’oignon au thym, par exemple, témoignait d’un souci évident de faire simplement les choses. Simplement n’excluant pas une dose certaine de recherche. Dans ce cas-ci, quelques minces croûtons à l’ail appuyés de tranches de ce savoureux Migneron de Charlevoix et d’une garniture d’oignons confits fort à propos. Fond de volaille, touche de crème; les festivités commençaient bien.
L’assiette de charcuteries "de chez nous" proposait rillettes, mousse de foie de volailles et terrine de bison. Préparées avec grand soin, présentées en portions bien dosées et montées sur une belle assiette, les trois vedettes affichaient une élégance égale à la qualité de leurs composantes. Le tout était subtil et évitait cette lourdeur si fréquente dans les charcuteries servies "chez nous".
Un tartare de cerf de Boileau préparé avec un doigté remarquable et servi avec une belle salade verte, mesclun de très bon goût et des frites maison plutôt réussies, mérite de faire figurer la maison au haut du palmarès dressé par les connaisseurs. Pour ce plat, comme pour certains autres, la carte indique l’origine des produits utilisés, d’où sans doute la juxtaposition du terme "cuisine du terroir" après le nom du restaurant. On saura gré au responsable de la chose de nous éclairer ainsi.
Jarret d’agneau braisé, disait la carte. On aurait pu élaborer davantage car le plat était préparé à la perfection, viande presque fondante enrobée de saveurs de vin blanc et de moutarde de Meaux, vapeurs de romarin, petit jus léger, rempli d’odeurs de champignons, pleurotes et shiitakes. Le plat était judicieusement accompagné de petits légumes bios, goûteux et d’une grande tendreté, ainsi que de spätzles maison, ces nouilles venues des bords du Rhin qui épaulent si bien les viandes longuement mijotées. Servi dans une belle terrine, le plat avait cet équilibre parfait des choses réussies au-delà des espérances du consommateur gourmet.
En desserts, une divertissante tarte au citron, pâte sucrée, crème au citron, vanille et coulis de bleuets, et un jouissif soufflé au chocolat, onctueux d’un cacao fort, envoûtant et travaillé avec grâce.
La carte des vins atteste de la présence en ces lieux de quelqu’un ayant suivi des cours d’œnologie ou ayant un goût certain pour les bonnes bouteilles. La personne en charge de la comptabilité aurait par contre pu mettre la pédale douce au moment de coller un prix sur à peu près tous ces vins. Y compris les choix au verre. Par contre, la maison offre l’eau minérale en bouteille, les sobres apprécieront, ou les pauvres, dont je fais partie, qui hurlent à voir des eaux, souvent très ordinaires, vendues cinq ou six fois leur prix réel.
Je suis ressorti de cet endroit partagé entre l’enthousiasme suscité par la cuisine et l’ennui provoqué par le cadre si artificiel et si envahissant. N’eût été de la qualité de cette cuisine et de l’irréprochable travail assuré en salle par la personne qui s’occupa de nous au cours de la soirée, je n’aurais pas cru bon de commettre cette chronique. Pour le reste, les chaises sont moelleuses et les banquettes profondes.
Aix
711, côte de la Place-d’Armes
Téléphone: (514) 904-1201
Ouvert midi et soir, sept jours sur sept. À midi, une vingtaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. En soirée, multipliez par deux, trois ou plus si vous êtes invité.