À la porte du restaurant, une surprise nous attend: "Interdit aux moins de 18 ans". Tiens? Jetant des regards ahuris, presque penauds, nous vérifions l’adresse. Nous serions-nous, sans le savoir, égarés dans un lieu de perdition, quelque club échangiste, peut-être? À la porte, on parle pourtant de "Fine cuisine du Moyen-Orient". Y présenterait-on des danses du ventre un peu olé olé, des danses, dirons-nous, du "bas-ventre"?
L’explication est à la fois plus simple et plus désolante. Le resto est jumelé à un pub. Entre les deux, cinq rutilantes machines, ces fameuses loteries vidéo qui défraient la manchette, vaches à lait d’un gouvernement en mal de liquidités, font à l’évidence des affaires d’or. Pas question, donc, que de jeunes personnes influençables s’y frottent. À moins qu’un permis de la Ville ne vienne, comme par magie, tout légitimer. Or, le permis se fait attendre. Voilà ce que nous avons réussi à tirer des réponses un tantinet évasives d’une serveuse au demeurant charmante.
Nous faisons ici de la critique gourmande, pas de la critique sociale. À chacun son opinion. Pour clore le dossier, ajoutons que cet arrangement pour le moins particulier a des effets inattendus. L’abondante fumée des clients des machines empoisonne l’atmosphère du restaurant où, ironiquement, ce soir-là, personne ne fumait…
Pourquoi en parler? Parce que tout n’est pas vilain, tant s’en faut. À commencer par le décor aux élégantes banquettes imprimées, égayé par quelques jolies photos et des objets utilitaires décoratifs (jusqu’à un fer à repasser), dans des tons ocre qui évoquent les sables des déserts d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Métamorphose radicale pour une salle auparavant vouée au commerce de la saucisse et des frites. Pour un peu, on verrait défiler sous ses yeux des torrents de cholestérol.
Par souci du devoir, nous avons passé outre à une table d’hôte attrayante et sagement tarifée (de 13,95 $ à 18,95 $) pour puiser dans un menu d’inspiration résolument perse, même si la carte fait aussi état de spécialités turques, marocaines et tunisiennes. (Vérification faite, elles font plutôt partie du séduisant buffet offert à midi pour 9,95 $.) Normal puisque, paraît-il, le chef est italien. Preuve que la cuisine ne connaît pas de frontières.
En entrée, trois succulentes "trempettes", servies en portions généreuses. Un délicieux baba ghanoush (3,95 $), purée d’aubergine au tahini (pâte de sésame) au bon goût de fumée si caractéristique, et un hummous aux légumes grillés (3,95 $), différent de celui dont on a l’habitude: à la purée de pois chiches et de tahini, on a incorporé du poivron rouge rôti et une bonne quantité de piments, dont le feu faisait agréablement contraste avec la fraîcheur du yaourt au concombre (3,50 $).
En plat, des crevettes chermoula (18,95 $), pâte à base de coriandre utilisée au Maroc comme assaisonnement, faisaient belle figure sur une montagne de riz basmati bicolore. Point trop cuits, les mollusques, accompagnés de quelques légumes, étaient servis dans une sauce courte bien rouge, relevée à point. Accompagnés comme il se doit de riz basmati et de tomates grillées, les kebab koobideh (10,95 $), brochettes de viande hachée, n’étaient peut-être pas façonnés, assaisonnés ni grillés avec la maestria à laquelle nous ont habitués les meilleures adresses perses de l’Ouest de la ville, mais le résultat n’en était pas moins convaincant: une viande bien tendre, juteuse sans être grasse, de quoi enfoncer les "hamburgers" les mieux réussis.
D’autant qu’ici (contrairement à la quasi-totalité des restos perses, où l’alcool est prohibé), on peut accompagner sa viande d’un peu de vin (bouteilles de 18 $ à 49 $, verres à 5,75 $). Un Médaillon du Maroc (29 $), étonnamment tuilé, mais agréable, nous a en l’occurrence bien servis.
Par la suite, les choses se sont un peu détériorées. Le keshgul, crème de riz très ferme et assez peu sucrée, saupoudrée d’amandes, sortait du frigo. Le thé à la menthe est apporté déjà versé dans de beaux verres idoines. On nous prive ainsi du cérémonial du service, qui compte pour une bonne partie du plaisir. Un peu âcre, la boisson, habituellement très sucrée, ne l’était pas assez. Bref, tout n’est pas parfait, mais on peut facilement moins bien dépenser ses sous. Aux loteries vidéo, par exemple.
Bémol: Les problèmes occasionnés par le pub adjacent: la fumée et les loteries vidéo (d’où l’interdiction des lieux aux mineurs).
Dièse: Des plats variés, exécutés avec soin et vendus à des prix corrects.
Karavan
5400, chemin de la Côte-des-Neiges
344-9009