Restos / Bars

À la Bastille chez Bahüaud : La prise de la papille

Petits et grands plaisirs d’une table raffinée, dans la tranquillité d’un jardin privé.

De nouveaux (et toujours imposants) tableaux de Luc Archambault décorent la salle à manger qui se prolonge virtuellement au-delà du grand miroir couvrant le mur du fond. Devant les couverts bien dressés, personne! Promeneurs, gens d’affaires ou employés de bureau, le beau temps leur a tous donné rendez-vous sur la terrasse. Beau temps, oui. Sans rien de caniculaire, à vrai dire. Nos épidermes se taperaient bien quelques degrés de plus. Mais le soleil, intimidé par un banc de nuages, semble avoir besoin d’encouragement. Je me commande donc une Griffon blonde bien froide, tandis que mon amie se fait servir un verre de rosé (Cabernet franc Rémy Pannier) et lance à mi-voix son cri de guerre: "Vacances!" Le menu du jour s’annonce sous la forme d’une petite feuille volante: quiche aux oignons, suprême de poulet sauce cari et tomates, tagliatelles à la tomate et fromage de chèvre, tartare de truite à la mangue et coriandre… Une assiette passe près de nous, laissant dans son sillage un fumet qui inspire à ma compagne l’escalope de saumon. Moi? Un peu distrait. L’esprit égaré quelque part, dans l’abondante verdure qui chuchote au vent ou bien dans le talus planté de fougères, à ma gauche. Je reviens doucement à la nécessité du moment et, sans tergiverser, choisis de commencer par une bisque. Soucieux de garder mon appétit en alerte, bien qu’il n’en ait pas vraiment besoin, je demande à examiner la carte du soir, le temps d’une balade parmi les crevettes géantes en fricassée, caviar russe de la mer Caspienne et blinis de pommes de terre au citron, sauté de cailles aux tomates séchées, mangue et vinaigre de cidre, cuisse de lapin farcie au cheddar et bacon, médaillon d’agneau, entrecôte grillée, ris de veau… Et voici du concret. Le rose orangé d’une bisque de homard qui s’impose d’abord par son odeur soutenue, puis par sa suavité (exempte de cette légère amertume que plusieurs croient inévitable). Un peu relevé. C’est ce que je me dis, le temps de quelques cuillerées. Bientôt, je me dis que le "un peu" est de trop. À mi-bol, si l’on peut dire, je déclare forfait, les papilles aux abois. "Tu exagères!" commente mon amie qui, après avoir goûté à l’objet du délice (malgré tout), accepte une permutation de plats. J’hérite ainsi de son "duo de charcuteries", en l’occurrence des rillettes de canard et un pâté de foie de volaille accompagnés d’une confiture d’oignons réfugiée dans une conque de pâte fine (elle-même échevelée de pousses de maïs)… Le pâté, onctueux, me plaît davantage que les rillettes tout de même excellentes, goûteuses et peu grasses. De nouveau, nous voyons passer une assiette chargée, cette fois, d’un imposant tartare… Un peu plus tard, l’escalope de saumon s’amène, nappée d’une sauce blanche, crémeuse, où le goût de la coriandre se fait subtil. Il y a là du riz blanc, du beau cresson frais, des carottes, du brocoli et des troncs de brocoli tranchés – légumes vraisemblablement cuits dans un bouillon plutôt que dans de l’eau… banale. Quant à la chair du poisson, cuite juste à point, elle se fait velours en bouche et vous épingle un sourire sur les lèvres. Mon expression amuse celle qui me fait face: il est vrai que je ne suis pas fou du saumon, mais il est des circonstances qui… Goguenard, maintenant, son propre sourire, alors qu’elle reprend possession de son bien. Car, je dois l’avouer, j’ai commencé par son assiette. Dans la mienne se retrouvent les mêmes légumes – ou presque, des pommes de terre rissolées remplaçant le riz. Trop cuites, les carottes se révèlent plutôt molles. Tout cela fait escorte à un beau filet mignon judicieusement croûté pour en sceller le suc. Chaque bouchée délivre son plein de jus rosé dont la saveur se suffit à elle-même. De loin en loin, cependant, je me sers un peu de sauce à la moutarde de Meaux (que je me suis fait servir à part). Nous avons presque terminé quand je vois passer une tranche de… quelque chose… d’un peu luisant… couleur de gourmandise… On nous renseigne sur demande: tarte aux poires caramélisées! Nous devons bientôt nous mesurer à ce dessert bordé de crème anglaise, de coulis de framboises et de crème écossaise. Délicieuse bagarre qui ne s’achève pas avant que tombe la dernière barricade de poire et de fraise à demi chemisées de chocolat.

Restaurant À la Bastille chez Bahüaud
47, avenue Sainte-Geneviève
Québec (Québec)
Téléphone: (418) 692-2544
Menu du jour: 10,25 à 15,95 $
Tables d’hôte: 15,95 à 30,95 $
Menus "gourmet" et "dégustation": 45 et 60 $
Dîner pour deux (incluant taxes et service): 48,75 $