Restos / Bars

Le Saint-Christophe : Les violettes de Laval

Au restaurant, comme ailleurs, les préliminaires sont une bonne indication de ce qui va suivre. En raccrochant ce jour-là, après avoir réservé, j’eus un très bon pressentiment. Bon, des fois, comme tout le monde, je me plante, mais là, ça partait plutôt bien. Le téléphone sentait la violette, comme à Toulouse. La dame qui m’avait répondu avait laissé au fond de mon oreille des airs de marché Place du Capitole, la brume matinale sur les berges de la Garonne, et le chant des cigales se chauffant dans les vieux platanes.

Vendredi soir: pas loin d’ici dans les restaurants de centre commercial, on se fait traiter comme du bétail par des maquignons. Ici, rien de tout cela; on pousse la porte de la vieille maison où se cache Le Saint-Christophe et on est accueilli par un jovial "Eh, bonjour!" On se sent tout de suite les bienvenus, presque de la famille. Les tables sont réparties dans plusieurs petits salons, descendants des pièces de cette belle maison de fermiers construite au début du XXe siècle.

La table est belle, bien habillée, cotonnades, verres de cristal et couvert élégant sans trop de chichis. La carte est tout aussi intéressante. Si vous avez un solide appétit ou que vous vous sentez en forme, la maison propose un superbe menu dégustation de cinq services et une palette de vins au verre, choisis pour leur harmonie avec les plats au menu.

La corbeille de pains est un rappel que cet élément peut être une joie en soi. Belle croûte, mie soyeuse, fleurant la farine de qualité; à peine découvertes, les solides tranches embaument la pièce et incitent le client à oublier ses promesses de retenue. Petit beurrier, découvert par le garçon. On se détend. Tout va bien. Tout va très bien.

La table d’hôte du soir contient de bien jolies choses. Ainsi, cette terrine de lapin en croûte avait été préparée par un amoureux du lapin. Fine, parfumée et moelleuse, elle affichait malgré tout un tonus attestant de la générosité et de l’excellente santé du lapin ayant participé à la chose. Un distingué cousin des lapins de Pâques sans doute.

Des ris de veau impeccables, apprêtés hors de tout doute par un très bon cuisinier. Une noix très souple, enrobée de ce mince croustillant, plein de toutes ces senteurs qui font de ce plat un grand classique de la cuisine française. Beaucoup d’élégance, beaucoup de classe dans une si modeste assiette. La sauce qui les accompagne est un modèle du genre. En grande partie parce qu’elle se contente d’accompagner, ce qui, pour simple que cela paraisse, relève du grand art. Inimitables éclats de velours donnés par le porto, le Brandy et la touche de crème. De beaux morceaux de cèpes frais, quelques légumes dans une petite assiette, tout en équilibre.

Un plateau de fromages conçu intelligemment, monté avec goût et présenté selon les règles de l´art. On croit rêver. Le tout jeune homme qui faisait le service ce soir-là est promis à un bel avenir s’il persiste. Quoi qu’il en soit, en mon nom et en celui de tous les fromages présents et à venir, je vous remercie, monsieur, de votre délicatesse et de votre sollicitude.

Le millefeuille caramélisé et la crème brûlée parfumée à la vanille prouvent que, chose rarissime sous nos cieux, le chef est également un excellent pâtissier. Légers dans leur richesse, les deux desserts jouaient parfaitement leur rôle et concluaient en apothéose un ravissant moment passé à table.

Au sortir, j’étais si impressionné que je décidai de revenir incognito le lendemain pour le repas de midi. Je fis appeler; on se montra tout aussi courtois et chaleureux avec mon enfant qu’on l’avait été avec moi la veille.

Pour 18,50 $, vous ferez un repas de prince. Irréprochable velouté de légumes, habillé comme s’il sortait de la cuisine d’un étoilé Michelin, bavette de bison saisie à la perfection, petite sauce aux morilles – présentée dans un saucier tel que demandé, assortiment de sorbets, légers et goûteux sans excès de sucre. Changement de partition deux fois par mois.

La carte des vins indique qu’il y a ici quelqu’un qui, non seulement connaît le vin, mais l’aime d’un amour profond. Près de 150 références, de beaux choix de vins au verre et en demi-bouteilles, un coup de cœur mensuel, prix de départ 32 $ et des prix moyens autour d’une cinquantaine de dollars.

En plus de l’impeccable travail et du talent du chef Stéphane Charpentier, Le Saint-Christophe bénéficie de quelque chose qui rend l’endroit si attrayant et attachant: des propriétaires compétents, méticuleux, amoureux de leur métier et qui mettent un point d’honneur à traiter leurs clients comme savent le faire les vrais bons restaurateurs.

Je suis sorti le cœur léger, sachant que je vous avais trouvé une bonne adresse. Sur le chemin du retour, Claude Nougaro, parti jammer avec Georges, Jacques, Léo et tous les anges, me chantonnait à l’oreille:

"Qu’il est loin, mon pays, qu’il est loin.

Parfois au fond de moi se raniment

L’eau verte du Canal du Midi

Et la brique rouge des Minimes.

Ô moun païs, Ô Toulouse. Ô Toulouse !"

Le Saint-Christophe
94, boulevard Sainte-Rose, Laval
(De Montréal: Autoroute 15 Nord, sortie 16, puis prendre le boulevard Sainte-Rose Est)
(450) 622-7963

Ouvert à midi du lundi au vendredi et le soir, dès 17 h 30 du lundi au samedi. À midi: 18,50 $. En soirée, si vous faites attention, une trentaine de dollars par personne. Si vous laissez le gourmet en vous s’éclater, la maison offre de quoi vous impressionner côté portefeuille. À vous de choisir. Ma recommandation étant de vous laisser aller et d’apporter votre tirelire. Bon appétit encore une fois!