Restos / Bars

Vices Versa : Manger aux cieux

Dans une région déjà réputée pour la qualité de sa gastronomie, un tout nouveau resto vient se ranger d’emblée parmi les grands.

Il méritait amplement le détour. Alors que nous roulions sur l’autoroute 20, en revenant de L’Islet-sur-Mer, j’ai cité le nom de ce restaurant devant lequel nous nous étions arrêtés, deux semaines plus tôt, à La Malbaie. Pure folie que de se taper encore tant de kilomètres pour aller souper? Certainement. Alors, va pour le coup de tête – qui se traduira au cours de la soirée par un véritable coup de cœur. Imaginez deux chefs, bien connus et bien cotés dans la région, qui s’éclatent en toute complicité autour des mêmes fourneaux! Cela donne Vices Versa, une cuisine d’humeur – de bonne humeur – qui s’exprime en termes de volaille, de gibier, de cassoulet, de ris de veau ou de foie gras. La première fois que nous avions vu la carte, elle tenait sur deux colonnes respectivement intitulées "Lui" et "Elle". Cette formule nous avait amusés, mon amie et moi. Mais, depuis, elle est devenue "Vices" et "Versa", car certains avaient trouvé à redire… Pour commenter ou pour choisir, nous ne nous demandons pas qui fait quoi en sautant d’une table d’hôte à l’autre, supputant les mérites de l’omble chevalier mariné (blinis à la moutarde), des quenelles de brochet, de la nage de homard, de la saisie de pétoncles, de la pièce d’agneau saisie (pruneaux et thé du Labrador), du médaillon de veau (sauce porto et banyuls) ou du cassoulet de canard. Nous trinquons à répétition, presque par réflexe, faisant plus d’une fois du regard le tour du décor – sobre, épuré, œuvre de Paul-André D’Entremont. Ce designer signe en outre deux peintures accrochées au-dessus d’une longue banquette adossée au mur du fond. À droite, une grande ouverture perce le mur de pierres peintes, vue directe sur les cuisines où "Elle" et "Lui" s’affairent… au nom de notre faim. Mon amie termine son Apfel Korn et se commande un verre de tokay-pinot gris (Léon Beyer, 2001) que suivra, un peu plus tard, un rouge californien (Ravenswood Zinfandel, 2000). Ma soif s’en tient à l’apéro, en l’occurrence une Dominus Vobiscum, bière ambrée (qui se dit blanche) de la Microbrasserie Charlevoix. Dehors, bégonias et lauriers-roses agencent leurs coquetteries au bas des immenses baies vitrées surplombant la rue Saint-Étienne. Et, soudain, une bouffée d’arômes envahit l’espace. Un tout petit caquelon de fonte encore tout grésillant se pose devant moi avec, en guise de couvercle, une brioche. Dessous, une escalope de foie gras posée sur un "pain" de cerf haché; encore plus bas, dans le fond, une brunoise courte de légumes, des pleurotes, de tout petits oignons blancs et un jus brun, presque saturé de saveurs, qui vous laisse un goût de revenez-y fleurant la baie de genièvre. Le moelleux de la brioche, l’onctuosité sapide du foie gras, le caractère et l’assaisonnement de la viande de cerf, les nuances de la sauce pourtant serrée, cela vous concocte en bouche une pléiade de petits bonheurs coupables. En face de moi, le plaisir semble tout aussi coupable, donc sincère. Il a pour motif des raviolis d’écrevisses du lac Saint-Pierre au vieux cheddar de Baie-Saint-Paul. Dans une sauce proprement divine, cela va de soi, avec tous ces noms de saints qui se suivent! Son souvenir s’attarde longtemps sur les papilles – jusqu’au moment de céder la place à notre soupe au jarret de veau et aux légumes taillés, limpide et goûteuse à la manière de certaines soupes asiatiques. Brève attente, suspense. Puis: "Oh, mon Dieu!" On n’en sortira pas, à ce que je vois – à ce que j’entends. L’exclamation de ma compagne vient de résumer notre appréciation commune du coquelet au vin rouge qu’on lui a servi accommodé de gyromitres, de lardons et de petits oignons blancs sucrant légèrement la sauce d’un brun foncé, caramélisée, très corsée. Tout à l’opposé, j’ai droit à une sauce blanche un peu moussante, à base de crème et de vin blanc et parfumée à la fleur d’ail. Elle est le trait d’union subtil entre une pince de homard (décortiquée) et un pavé de saumon bordés de fettucine. Ma faim qui battait de l’aile gagne de l’altitude. Qui donc, déjà, disait qu’on ne vieillit pas à table? Et c’est même pour rajeunir un peu que nous commandons, pour finir, un "pain perdu à l’érable" escorté de pêches cuites au four, de crème glacée à la vanille, de framboises… En attendant qu’on succombe à ce nouveau péché, la serveuse nous amène deux savoureuses truffes au chocolat. Après cela, vraiment pour finir, nous optons pour deux cafés. Allongés, les chanceux! Il ne nous reste qu’à en faire autant.

Vices Versa
216, rue Saint-Étienne
La Malbaie (Québec)
Téléphone: (418) 665-6869
Table d’hôte: 42 $
Souper pour deux (incluant taxes et boissons): 136,31 $