Restos / Bars

Bistro Vert Lime : Passage à l'Est

(En réaction à une chronique antérieure, un aimable lecteur m’invitait à faire l’essai du Bistro Vert Lime, dont il disait le plus grand bien. J’ai décidé de le prendre au mot, surtout que l’établissement, pourtant ouvert depuis quelques années, défraie ces jours-ci la manchette.)

Disons-le d’entrée de jeu, on a ici affaire à un établissement d’exception: un bistro branché, à la décoration sobre et de bon goût, dans des tons de vert, comme son nom le laisse supposer, un peu excentré, à l’évidence bien ancré dans son quartier. Paradoxal, aussi: si on a incontestablement affaire à un bistro (tables petites et rapprochées, serviettes en papier, beurre en barquette, lait en mini-berlingot, service sans cérémonie), la cuisine, elle, est digne d’un restaurant. Vert Lime est donc un restaurant dans un cadre de bistro, ce qui, soit dit entre nous, vaut mieux que le contraire.

Voyons voir un peu. Le soir, la maison vous offre la possibilité de construire votre table d’hôte (excluant le dessert) à partir de la carte. Au premier service, le chef, inspiré sans doute par les élans timides d’un printemps poussif, propose une crème de petits pois à la menthe simple et savoureuse, qui réussit l’équilibre délicat entre l’herbe et le légume.

En entrée, un ceviche de pétoncle (sans "s" parce qu’il n’y en avait vraiment pas beaucoup), fort bon, accompagné de cubes de patate douce dans une cuillère (les "spoons", avec ou sans M. Ducasse, ont la cote), lesquels, un peu insipides, n’ajoutaient pas grand-chose. Une idée, en somme, qui ne marche pas, ce qui vaut mieux que de ne pas avoir d’idée du tout. En face, une demi-caille désossée sur un nid de riz sauvage, glace à la viande et crème de marrons. On n’aurait fait qu’une bouchée d’un volatile tout en entier.

En plat, le (petit) problème des portions ne se pose pas, ni du côté du pavé de thon, vinaigrette aux haricots noirs, accompagné de purée de pommes de terre parfumée à l’ail, de haricots fins et de cubes de pommes de terre bleues et de betteraves jaunes, plat recherché à l’exécution irréprochable, ni de celui du wapiti (qui nous change agréablement du cerf de Boileau, en voie de devenir un poncif), sauce au genièvre, servi avec la même purée de pommes de terre, des asperges blanches et vertes, une petite salsa de poivrons et d’ananas, sans compter une tranche de pied bleu, champignon luxueux plutôt méconnu. De fort jolies assiettes, riches et complexes, très peu "bistro" finalement, au point où on regrette que les serveurs ne se donnent pas la peine de les interpréter au bénéfice des gourmands curieux.

Il faut dire qu’il y avait salle comble, ce samedi soir-là, sans parler de la réception privée tenue dans une arrière-salle ni du bar où toutes les places étaient prises. Le service, en dépit des efforts louables d’une brigade surtaxée, en a hélas souffert. J’ai songé au controversé chef new-yorkais Anthony Bourdain qui, dans Kitchen Confidential (Cuisine et confidences, en traduction française), déconseillait à ses lecteurs d’aller au resto le samedi soir. Comme si on avait toujours le choix…

Les clients, à l’évidence, s’amusaient ferme, d’où la montée des décibels et des effluves de cigarettes. Il vaut tout de même la peine de goûter au gâteau au citron et au pavot, glace vanille et sauce au caramel au beurre, très sympathique, et à la crème brûlée à la lavande, de fort bonne facture.

À midi, on retrouve, pour environ la moitié du prix, une cuisine tout aussi attentive aux détails… et les mêmes petits irritants. Ainsi, on offre en entrée une exquise mousse de foie de volaille, mais une "quenelle" seulement… Quand c’est aussi bon, on en veut plus. En plat, un généreux risotto aux champignons à la consistance ferme mais à la cuisson impeccable, savoureux à souhait. De quoi faire pâlir d’envie certains restos italiens. La lotte, poisson magnifique mais un peu capricieux, était ici cuite à la perfection. Une assiette séduisante, toute en fraîcheur… en dépit des relents de Gitane (ou de Gauloise). Question d’ajouter à l’ambiance, peut-être. En fermant les yeux, on se serait presque cru à Paris.

Bémol: Portions un peu justes du côté des entrées, restaurant tout "fumeurs" à cause de l’aménagement de la salle.

Dièse: Ambiance sympathique de resto de quartier, cuisine du marché savoureuse, travaillée mais sans excès, présentations soignées.

Le midi, de 30 à 40 $ pour deux, les taxes et le pourboire compris, mais avant le dessert et les boissons. Le soir, le double environ.

4255, rue Ontario Est

255-4747