On a beau raffoler de la cuisine indienne, l’homogénéité des menus décourage: dans des élans de délire paranoïde, il m’arrive d’imaginer une usine de montage de caris – une sorte de "cari-dépôt" – où s’alimenteraient la quasi-totalité des restos. Quand je vous parlais de délire… Le phénomène serait imputable aux origines bengalis d’une forte proportion de cuisiniers. Seule consolation, le même plat s’interprète toujours différemment, à l’exemple du mélange d’épices qui donne son nom à l’objet de cette chronique.
Quoi qu’il en soit, l’ouverture d’une nouvelle maison éveille invariablement en moi l’espoir de voir apparaître quelques nouveautés, des plats issus de régions sous-représentées chez nous, voire absentes, le Kerala entre autres. Ou encore une cuisine indienne actualisée, allégée, métissée, comme on en trouve ailleurs. Mais voilà que je cède à la tentation de certains critiques de parler des restos dont ils rêvent plutôt que de ceux qui existent.
Il faut dire que Garam Massala, ouvert depuis quelques mois sur l’avenue Monkland, dans le "village" du même nom, suscitait des attentes: avec une économie de moyens qui les honorent, les proprios ont su créer une décoration urbaine, agréable et sobre – tapisseries, fenêtres en trompe-l’œil, objets décoratifs – à des années-lumière de l’exotique kitsch.
Côté cuisine, ils ont opté pour la tradition, ce qu’on appelle un peu pompeusement la "fine cuisine de l’Inde". Rassurez-vous, ce n’est pas du tout mauvais, au contraire. De l’assiette d’entrées offerte à 7,95 $ ressort le shami kebab, hachis de viande moulé et passé à la friture, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une proposition plus rare. Les autres éléments – bhajees à l’oignon, somosas, pakoras, sheek kebab – sont servis bien chauds, les fritures croustillantes à point, les trempettes savoureuses. Pas grand-chose à redire.
Bonne idée, du reste, que ces assiettes mixtes qui permettent de goûter un peu à tout. Ainsi, l’assiette de "grillades" au tandour (17,95 $) réunit des kebabs, des morceaux de poulet et d’agneau ainsi que des crevettes. Les tons de rouge sont du plus joli effet autour du monticule de riz aux petits légumes coloré au curcuma. Le baromètre, dans ce cas-ci, est le poulet: imprégné du goût de la marinade, il est resté bien moelleux après son passage dans la chaleur infernale du four. Seules les crevettes, dont le goût et la texture laissent à désirer, déçoivent.
Difficile de faire un repas indien sans un de ces plats en sauce, faits exprès pour le pain nan, autre produit du tandour, tout à fait correct ici. Si votre foie a des palpitations à l’idée des quantités affolantes de ghee et de crème inhérentes à bon nombre de ces préparations, choisissez le boeuf dhansak (10,95 $). Ce plat d’origine perse combine de beaux morceaux de viande dans une sauce épaisse à base de légumineuses, façon dal. En prime, vous aurez le sentiment d’être vertueux!
J’ai souvent été déçu par des sauces dhansak trop aqueuses, sans le goût aigre-doux caractéristique, celui auquel je me suis habitué au restaurant Nupur de Sainte-Foy, que je fréquentais naguère. Ce goût, je l’ai retrouvé chez Garam Massala. Et pour cause: c’est le même! C’est le patron du Nupur (qui n’existe plus depuis deux ans) qui a ouvert dans Notre-Dame-de-Grâce un "clone" du Garam Massala de la rue Cartier à Québec. La madeleine de Proust et le dhansak du soussigné. Autre temps, autres mœurs, il faut croire.
Je suis de ceux pour qui le mariage du vin et de la cuisine indienne est contre nature. Chacun ses goûts. Comme solution de rechange, on vous propose ici une bière pression tout à fait potable (ce n’est pas toujours le cas) et le lassi à la mangue, boisson sucrée à base de yaourt dont le service pendant le repas fait hurler les puristes. Tant pis pour eux.
À midi, on vous propose une table d’hôte correcte, et l’effet Monkland se fait un peu sentir sur les prix. Comptez payer un ou deux dollars de plus que chez les Indiens concurrents. Pour 10,95 $, on vous propose notamment le poulet biryani (précédé d’une soupe aux lentilles bien goûteuse), version honorable additionnée, curieusement, de petits dés d’ananas. Sympa.
Le service, assuré en français et en anglais, est tout à fait correct pour ce genre d’établissement. Et la terrasse recouverte d’un auvent fait merveille à la belle saison.
Bémol: menu un peu convenu.
Dièse: menus complets pour un, deux ou quatre, joli décor, terrasse sympathique, cuisine dans la note voulue.
Garam Massala
5601, avenue Monkland
488-8999