Il fait torride. On nous a installés dans la verrière jouxtant la salle à manger aux murs de pierre. Le brasseur d’air tourne à plein régime. Vêtements légers, boissons froides, fenêtres entrebâillées, rien n’y fait. Dehors, au-delà de la cour arrière de l’auberge et d’un enclos déclive où l’on peut voir flâner des wapitis, de gros nuages noirs se concertent au-dessus des Laurentides. Il n’y a autour de nous que des couples, jeunes et moins jeunes. D’autres arriveront un peu plus tard, d’une démarche indolente propre aux vacanciers que rien ne presse. Pas envie de me forcer pour choisir une bière: la première de la liste fera l’affaire. Une Molson Dry, donc. Ma compagne opte pour un kir local: "Le Péché", au vin blanc de Sainte-Pétronille et cassis de l’île d’Orléans. Et la carte entreprend de nous dire la bonne aventure: poisson blanc poché à la coriandre, suprême de poularde au miel et à la moutarde, pavé de saumon de l’Atlantique, roulade de veau au citron vert et au gingembre… Bien, bien, mais je ne l’entends pas encore de cette oreille. Pintadine de l’Île rôtie à la purée de marrons, filet de bœuf sauce fermière – là, tu parles! Et puis les mignardises d’autruche à la saveur d’érable, l’émincé de caribou aux perles bleues… "T’as l’air nerveux…" Non, fébrile. Mon amie pouffe et nous refaisons tchin-tchin. "Moi, le gibier, tu sais…" Je sais. Il lui reste naturellement le choix des poissons, de la poularde, de la fricassée de pétoncles, du sauté de crevettes au sésame parfumé à l’orange et j’en passe. L’appétit vient aussi en regardant manger les autres, en resquillant de la narine l’odeur des plats qui défilent. Notre commande passée, nous allons terminer nos apéros dans un petit salon aux meubles anciens où trône un harmonium. Une "pré-entrée" nous attend sur la table à notre retour. Il s’agit d’une délicieuse tapenade où rien n’est de trop – ni l’ail, ni les anchois, ni les olives elles-mêmes. Puis arrive l’entrée, le feuilleté de pétoncles au coulis de framboises. J’accepte sans hésiter l’invitation d’y goûter. Le mollusque, tranché, est servi tiède et pas trop cuit. On ne le mâche que par réflexe; la langue et le palais auraient suffi. Dans le coulis subsistent quelques pépins de framboise, qui m’agacent, mais dont mon vis-à-vis ne se formalise pas. Pas plus qu’elle ne se formalise, un peu plus tard, des dés de pommes non pelés qui parsèment sa crème de céleri. Moi, je n’attends qu’un plat, mais tout un. Je l’attends de faim ferme. Le second service ne tarde pas. Nos accompagnements sont identiques: pommes de terre gratinées, façon dauphinoise, champignons et dés de betteraves bien assaisonnés, plus un onctueux flan aux épinards d’une grande finesse de goût. L’essentiel est, pour mon amie, un blanc de faisan (à la crème de pommes et calvados) auquel je ne m’intéresse pas immédiatement. Cette partie de la volaille, souvent sèche, se révèle en général imperméable aux condiments. "Ben, voyons donc!…" Je nuance mes propos: "Du moins, depuis quelques années…" Un morceau du volatile atterrit dans mon assiette et force (ou curiosité) m’est d’y goûter. Mon absence de commentaire passe pour un dédit. C’en est un. La chair, d’un goût fin, a gardé sa souplesse et s’avère humide par elle-même, indépendamment de la sauce qui la nappe de velours et de saveur. La pluie fait rage, dehors. Taram! Et voici mon assiette que je fais semblant de découvrir: "Trio de gibier". Salivant. Charnu. Médaillons de caribou à droite, tranches d’autruche à gauche. Entre les deux, la pintadine rôtie. J’ai demandé qu’on me serve à part les trois sauces – aux bleuets, à l’érable et à la purée de marrons (clarifiée). Agréables seules, elles ne semblent s’éveiller vraiment qu’au contact de ce qu’elles doivent accompagner. Toutefois, j’apprécie moins la seconde, un peu trop sucrée à mon goût. La pintadine ne fait pas de vieux os, si je puis dire. L’autruche? Ici ou ailleurs, je l’aime… disons, par défaut, en raison des vertus qu’on lui prête. Mais le caribou, ah!… Ils l’ont bien chouchouté en cuisine. Pas traumatisé pour un sou, il vous arrive avec son léger arôme de bois, sa texture complaisante, son jus couleur de vin noble. Et ça vous chante en bouche et vous titille les zygomatiques. "T’es un vrai carnivore, toi, hein!" Plutôt "carnivorace". Et bientôt repu au point de ne pouvoir accepter qu’une minuscule bouchée de ce gâteau judicieusement baptisé "Sublime au café".
Le Vieux Presbytère
1247, avenue Mgr. D’Esgly
Saint-Pierre, île d’Orléans (Québec)
Téléphone: (418) 828-9723 et 1 888 828-9723
Table d’hôte 5 services à partir de 37 $
Plats principaux: 25 à 32 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 100,36 $