Faut-il s’étonner de la popularité des tapas, ces bouchées dont on accompagne gaiement l’apéro? Du moins, au sens propre du terme. Par une sorte de glissement sémantique, le terme "tapas" s’applique désormais aux "petites assiettes" destinées au partage entre convives, dont on fait tout un repas, pour ne pas dire tout un plat. Compte tenu de la cuisine de Tapeo – jeune maison dont les artisans, issus notamment du chic Ferreira, n’ont cependant rien de néophytes -, on comprend cet engouement.
En Californie, où naissent et meurent les tendances, des chefs réputés délaissent les formules de dégustation compliquées en cinq, sept ou même neuf services, au profit des "small plates" qui, outre une souplesse certaine, ont l’avantage de freiner la hausse parfois vertigineuse des prix. Et l’Espagne, dans tout ça? Les "petites assiettes", qui vont un peu dans toutes les directions (n’est-on pas au pays de la cuisine fusion?), de l’Asie du Sud-Est à l’Amérique du Sud, en passant par l’Inde, sont peut-être en voie de devenir, à San Francisco notamment, un genre en soi.
Chez Tapeo, le pari est différent. La maison s’en tient grosso modo à la cuisine de la péninsule ibérique, parti pris dont nous lui savons gré. Simplicité, fraîcheur et savoir-faire sont au rendez-vous: on sort de l’établissement le palais saturé des parfums francs de l’huile d’olive, de l’ail et des fines herbes, repus mais pas lourd.
Car la formule à ceci d’extraordinaire qu’elle vous permet de doser non seulement les quantités mais aussi l’addition. Combien faut-il prendre de plats? se demande-t-on invariablement devant un menu de petites assiettes. "Commencez par quatre, cinq à la rigueur, nous répond le serveur. Vous pourrez toujours commander autre chose après." On vous autorise donc à passer une bonne soirée sans y laisser votre chemise. On pousse même la délicatesse – fait rare – jusqu’à vous offrir un vin blanc correct (le Candidato) à 16 $ la bouteille (la carte se compose exclusivement de crus espagnols).
Après les frites allumettes offertes par la maison et peut-être les olives marinées (2 $), vous pouvez sans vous tromper choisir les piments piquillos farcis au fromage de chèvre, servis sur une tombée d’épinards (6 $), la poêlée de champignons sauvages (7 $), les incontournables sardines grillées (6 $), les calmars frits à l’aïoli (6 $), les crevettes à la planche (7 $) ou le jambon serrano accompagné de piments marinés, d’artichauts et de fromage manchego (7 $). À ne pas manquer, les tomates sur vigne confites dans de l’huile d’olive parfumée au thym et au romarin, accompagnées de chèvre frais (6 $). Un régal d’une simplicité qui fait plaisir.
Vous vous sentez un peu plus en moyens? N’hésitez pas à choisir la poêlée de pétoncles (12 $) servis sur un lit d’épinards ou de rapinis (le serveur, attentif, a le souci d’éviter les redites) ou le délicieux agneau en croûte de polenta (15 $) flanqué de haricots verts, le tout nappé d’un jus de viande où sont tombés quelques grains de semoule de maïs croquants. Autre possibilité, la paella pour deux (22 $), servie dans les règles de l’art, où les fruits de mer l’emportent haut la main sur le riz, bien safrané, même si, ce soir-là, il nous est apparu un peu trop salé.
Quoi que vous fassiez, gardez-vous de la place et quelques sous pour les churros con chocolate (5 $), petits beignets bien chauds et généreusement saupoudrés de sucre qu’on trempe dans du chocolat fondu. On se croirait à Madrid… Sinon, choisissez la trilogie (6 $) faite d’une crème brûlée, au bon goût vanillé, d’une crème au café, dense et fortement parfumée, et d’une crème au chocolat, savoureuse et onctueuse à souhait.
Les propriétaires ont sagement choisi de s’en tenir à un décor modeste, dans un coin de la ville où ils n’ont pas un concurrent à tous les coins de rue (même si Saint-Denis est à deux pas). Pour l’ambiance, mieux vaut privilégier le vendredi soir ou encore se mettre à l’heure espagnole et aller souper tard.
Bémol: La maison encourage les clients à partager les plats, mais l’absence de couverts de service et les éléments (pétoncles, tomates, crevettes) proposés en nombre impair rendent l’opération délicate.
Dièse: Des produits frais, de la simplicité, une cuisine savoureuse, bien faite, un personnel sympathique.
Tapeo
511, rue Villeray
Tél.: (514) 495-1999