Retour de vacances épuisant. Et un peu ennuyeux sur le plan de la couverture gastronomique, je vous avoue. Depuis mon retour des vieux pays, je me suis tapé quelques bouis-bouis ne méritant pas votre attention, plusieurs restos pas chers mais pas terribles et une ou deux excellentes tables, mais hors de prix pour le commun des mortels, c’est-à-dire vous et moi. Rien de particulièrement inspirant. Je suis parti vers La Tuque; voir La Tuque a des vertus thérapeutiques reconnues.
Entre Shawinigan et La Tuque, mon thérapeute s’appelle Matilde. Son mari et elle tiennent une auberge sur les rives de la Saint-Maurice. Matilde râle parce que le stationnement de la marina locale est presque devant chez elle, mais je lui ai fait remarquer qu’en y mettant un peu du sien, on le voyait somme toute peu et que, de toute façon, elle n’avait qu’à regarder ailleurs ou au-delà pour imaginer le passage de beaux bélugas. Elle est allée dans sa cuisine en ronchonnant. On l’entendait encore puisque sa cuisine est au vu et au su de tous, presque dans la salle à manger. Matilde ronchonne artistiquement, en italien; ça ne dure jamais très longtemps et elle finit toujours par embrayer en préparant une tarte, un potage léger ou une salade court vêtue. Dans tous les cas, c’est vraiment très bon.
L’auberge de Matilde et Jean-Claude s’appelle Le Bôme. Pour les curieux, le bôme est un instrument utilisé autrefois par les draveurs. Pour les non-draveurs, Le Bôme est une auberge ravissante et une table reposante. Matilde, elle, est une drôle de chef, une sorte d’anarchiste de la casserole. Matilde n’a pas lu Ducasse, connaît peu Ferran Adria et ignore les vertus aphrodisiaques du coulant au chocolat de Michel Bras. Si vous êtes du genre à aimer le "Lapereau-présenté-avec-raisins-de-Corinthe-confits-dans-le-derrière-accompagné-de-sa-mousse-de-girolles-à-la-réduction-de-Mas-Amiel", n’allez pas chez elle. Vous allez passer votre temps à critiquer et vous êtes même capables de m’en tenir rigueur. Matilde n’a même pas de salamandre dans sa cuisine, c’est vous dire combien elle est délinquante. Elle prépare ses plats sans autres recettes que celles qu’elle a en tête. Par chance, ce sont aussi des recettes de cœur.
En tête-à-tête avec mon humeur maussade, je contemple le menu affiché sur un grand tableau noir. Outre les fautes d’orthographe – qui me permettent d’être désagréable avec le patron, bon vivant sénonais certes, mais qui n’a pas voulu me donner son hallucinante recette de saucisse au caribou -, les propositions sont intéressantes et bien équilibrées. L’absence de poisson est compensée par des crustacés, produit sans doute plus convivial pour une table en région, et les prix restent raisonnables. La carte des vins est pour le moins spartiate; ça vous donnera l’occasion de vous en plaindre au patron; c’est un Bourguignon, je suis certain qu’il aimera ça.
Les festivités commencent avec une tasse de bisque de homard plutôt élégante, parfumée à l’estragon; recette classique traitée avec intelligence et digne des meilleures tables, elle constituait un intéressant préliminaire.
Suivit une caille marinée, grillée aux parfums d’Asie. L’oiseau, de taille suffisante pour une entrée, était tendre, juteux, goûteux et agréablement habillé d’une sauce relevée de Cayenne et de cumin. L’assiette joliment décorée ne tombait pas dans la fioriture et tant la fleur de capucine que la fine tranche de concombre accompagnée de crème sure servaient une cause, celle de calmer les papilles un peu surexcitées du client peu enclin aux joies du piment de Cayenne
Irréprochable magret de canard, tendre et plein de parfums de gingembre et d’érable, quelques pleurotes roses, petits pois sucrés en cosses, bâtonnets de courgettes et de poivrons rouges, petit nid de pâtes vertes au basilic et à l’ail pour abriter l’élément principal.
Matilde choisit ses légumes et champignons chez des producteurs locaux – la Ferme Campanisol et le Jardin d’Olympe, pour ne pas les nommer – qui donnent envie d’aller visiter Sainte-Geneviève-de-Batiscan; ne serait-ce que pour les remercier de faire de si belles choses. Quand le produit est aussi bon et qu’il est traité avec déférence par le cuisinier, le résultat est superbe et tout le monde mérite des éloges.
On finit avec une pointe de tarte aux bleuets et à la pâte d’amandes comme on voudrait en voir plus souvent dans les restaurants. Simple, savoureuse, efficace. On sort faire une marche sur les bords de la rivière et l’on bat en retraite sous la couette. On rêvera peut-être à cette petite bonne femme si attachante qui, au fil des ans, amène sa cuisine vers de hauts sommets; grâce à son cœur et malgré son méchant caractère.
Auberge Le Bôme
720, 2e Avenue
Grandes-Piles
1 800 538-2805
Ouvert tous les jours, pour le petit-déjeuner et le souper, servi dès 19 h. Une quarantaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. Diverses formules sont offertes pour les séjours de courte ou longue durée.
Venue ici avec moi il y a quelques années, ma fille, pourtant fine fourchette et à l’esprit critique acéré, avait dit: "Chez Matilde, c’est comme à la maison, mais en mieux!" Je vous confirme que c’est encore meilleur aujourd’hui. Sauf l’osso buco qui est meilleur chez moi. Mais c’est plus cher…