Le soleil se déguste à très petites gorgées, sur fond de chansonnettes françaises. C’est un rosé de vacances, délicat, médaillé d’or en 2004. Un Clos de l’Orb 2003 (Saint-Chinian) qui euphorise, alors que nous feuilletons des ouvrages choisis parmi ceux qu’on expose ici et là dans la salle à manger, sur un dressoir ou sur une étagère. Mon invitée interrompt sa balade parmi Avignon, Connaître le Gers et Les Plus Beaux Villages de Gascogne pour me montrer un paysage. "C’est là que Vadim a tourné Et Dieu créa la femme…" Je dis qu’il a bien fait, sans préciser de qui je parle, et me replonge dans mon beau prosaïsme, en l’occurrence Les Cuisines de la Provence – aïgo boulido, truffes de Vérignon, soupe de favouilles… Et j’attrape machinalement l’une des tapenades qu’on nous a servies. Pour nous mettre en appétit, certes, mais les odeurs qui nous environnent ont déjà produit leur effet et rempli cet office. Nous sommes arrivés un peu tard et tout le monde mange déjà autour de nous. Ce qu’elle peut être tyrannique, cette faim qui m’a précipité jusqu’ici, malgré les petites succulences d’un cinq à sept prolongé! J’avais tenté de l’endormir en lui fredonnant, comme une berceuse, plusieurs "strophes" de la carte: ris de veau et ses compagnons des bois, carré d’agneau dijonnaise, magret de canard aux pêches, côte de veau de lait au porto, bouillabaisse à la provençale, côtelettes d’agneau au thym et au basilic. Rien n’y fit. Même pas l’onctueuse tapenade maison – un peu trop salée à mon sens, mais parfaite au dire de mon invitée. Ce qu’on m’apporte bientôt est d’un tout autre registre. Il s’agit d’un velouté de moules au safran, d’un beau blanc rosé, un peu clair, mais odorant et plein de goût. Les mollusques se révèlent dodus, souples sous la dent. Mon invitée a droit, pour sa part, à la soupe de poissons maison. La rouille dont elle enduit méticuleusement ses croûtons fleure bon l’ail frais. Homogène et pas trop relevée, elle ne fait que nuancer le goût de cette soupe aux parfums de marée et d’aromates, garnie à souhait de saumon, de flétan, de pétoncles et de crevettes. On éprouve toujours un plus grand penchant pour l’assiette voisine, c’est connu. Par chance, on ne m’en interdit pas l’accès. J’y prends donc mes aises, oubliant qu’un autre plat succédera à nos entrées. Je parle pour moi, bien entendu, car mon invitée n’a pas commandé autre chose – "peut-être un dessert, plus tard", avait-elle murmuré. Nos assiettes vides reparties, c’est de nouveau la lecture qui nous occupe une fois que nous avons fait du regard le tour de la pièce et constaté que rien ne semble avoir beaucoup changé depuis notre dernière visite. Les tableaux laminés déclinant des cépages s’affichent maintenant entre deux fenêtres et les santons de Provence se retrouvent sur une tablette, non loin des cuisines. Plus près de nous, une colonne recense des variétés de café ou de thé. Vieux meubles, arrangements floraux et cigales emblématiques parachèvent ce décor où dominent les tons de jaune, de vert et de bleu. Et v’là l’opérette! "Opérette de crevettes et pétoncles au citron", tel est son nom. La première bouchée me fait presque sursauter, tant le goût du beurre citronné contraste avec la suavité de ce qui a précédé. Mais les papilles se remettent à l’heure, si je puis dire, pour apprécier plus justement la sauce semée de très fins brins de zeste, presque sucrés. Les pétoncles ont la tendreté qu’on en espère, sans ces filandres coriaces qui trahissent parfois une cuisson excessive ou le manque de fraîcheur. Les crevettes, un peu plus… résistantes, ont toutefois plus de saveur. Je les préfère. Pour m’accompagner, dit-elle, mon invitée s’est fait apporter un second verre de vin (Chardonnay, Domaine du Tariquet 2003). À peine accepte-t-elle, et rien qu’une fois, ce que je lui offre d’une fourchette d’autant plus généreuse que j’ai déjà dépassé mes objectifs de satiété. Il doit y avoir anguille sous roche, idée derrière la tête, un coup… moelleux en perspective. En effet, et cela s’appelle une "crème Mistral": crème catalane au pastis, sucrée et anisée à point, couverte d’une pellicule de caramel et décorée d’un biscuit léger, façon tuile. On nous offre de terminer avec deux verres de baume de Venise, mais là, franchement… Nous disons oui.
Mistral gagnant
Restaurant provençal
160, rue Saint-Paul
(Québec) Québec
Téléphone: (418) 692-4260
Menu du midi: 10,95 à 14,95 $
Table d’hôte: 20,95 à 27,95 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 64,10 $