Vous êtes partis de Montréal vers le nord. Pas de programme établi, pas de destination précise. Juste partir a été suffisant. Passé Laval, vous vous êtes déjà sentis mieux. Un peu affamés peut-être, mais mieux. À l’approche de la sortie 23, vous avez vu le panneau indiquant Saint-Augustin. Vous avez tourné.
Quelques kilomètres de campagne, une petite route paisible; à bord de l’auto, la faim du monde se confirme. Le village de Saint-Augustin apparaît dans tout son relatif anonymat. Rue Saint-Augustin, une petite pancarte annonce: Le Saint-Augustin. On peut difficilement faire plus simple, comme ils disent au Lac.
La maison est à l’échelle du village: minuscule. Les salles du bas et celles de l’étage supérieur le sont tout autant, évidemment. Par souci d’harmonie avec les lieux, Jean-Paul Giroux, le chef, est lui aussi assez modeste de taille, sorte de Marsupilami au sourire invitant. Toute cette modestie ambiante ne devrait pas vous inquiéter outre mesure si vous aimez autant que moi ces petits établissements sans prétention qui attachent plus d’importance à la cuisine qu’ils servent qu’à la magnificence du décor. Ici, en effet, vous goûterez de la grande cuisine.
Pour aller dans la petite salle du fond, on traverse littéralement la cuisine de monsieur Giroux. Pour qui fait mon travail, ce moment est toujours extrêmement intéressant. C’est ici que l’on vérifie, a priori ou a posteriori, la présence de l’un des ingrédients essentiels en cuisine: l’honnêteté. La cuisine de monsieur Giroux en est pleine, dans chaque coin, sous chaque casserole et au bout de tous ses ustensiles. Le talent et le bon goût aussi, ce qui ne gâche rien.
La grande honnêteté de monsieur Giroux se voit, bien entendu, dans l’art de la cuisine qu’il offre, autant que dans la manière de l’aborder et de la partager: mise en évidence des producteurs, locaux ou non, mais toujours choisis avec un soin méticuleux; souci d’intégrité dans la description précise des plats; minutie dans le montage d’une assiette. Il y a dans la cuisine du Saint-Augustin une délicatesse extrême, un mélange harmonieux de force tranquille et de féminité rassurante.
On retrouve ces qualités et vertus dans la plupart des plats servis ici. Dès l’amuse-bouche – ce soir-là, un effiloché de canard braisé, tout en puissance et en subtilité – ou le "Mesclun de monsieur Plante, vinaigrette à l’huile d’olive et vinaigre Tinto", qui, avec ses jeunes pousses et laitues du moment, constitue une belle entrée en matière, sorte d’hommage rendu au producteur biologique de Sainte-Scholastique. Vinaigrette à base de produits venus d’Espagne, torride caresse de castagnettes.
Le montage en millefeuille de fenouil, tomates du jardin et fromage de chèvre, accompagné de pousses de radis et de roquette, atteste de la dextérité du chef et de l’omniprésence divine, le voluptueux fromage ayant été affiné par les sœurs grecques du Saint-Monastère-Vierge-Marie-la-Consolatrice de Brownsburg-Chatham. Deo Gratias.
Accompagné d’une généreuse poêlée de légumes au beurre et de pleurotes érigés, le "Suprême rôti de pintade de monsieur Stairs, jus de pintade au vin blanc" est une véritable ode à notre gallinacé préféré au caractère belliqueux et aux cuisses si succulentes – ce qui est une combinaison fréquente, chez les pintades du moins.
La crème aigrelette aux fines herbes qui nappait le filet de saumon brillait par sa prestance et sa légèreté. Le poisson de la baie de Fundy, saisi à la perfection, était parfumé, une pointe de noisette restant en bouche, et tirait le meilleur profit du voisinage des petits pois sucrés, mini-betteraves et carottes bio rôties.
Au dessert, "Brioche maison façon pain perdu et compotée d’abricots" ou "Moelleux chocolat Tanzanie, glace crème sure à la vanille" sont de purs bijoux. Tous deux réveillèrent la bête effrayante qui sommeille dans mon ami le gros Michel, qui lécha presque les assiettes, inquiétant la jeune serveuse fort appliquée travaillant ce soir-là. Une semaine plus tard, le goût du chocolat et la magnifique texture de l’appareil à moelleux, particulièrement bien émulsionné, flottent encore dans ma mémoire.
On peut regretter qu’en termes de choix, la carte des vins corresponde davantage à la taille de l’établissement qu’à sa qualité. Toutefois, si vous tombez sur un moment de beaux arrivages, votre bonheur sera complet. Pour tout ce qui est de la cuisine proprement dite, le chef suivant avec minutie les productions saisonnières et mettant sur son comptoir ce que chaque saison apporte de meilleur, vous pécherez, j’en suis certain. Je vous souhaite d’y prendre autant de plaisir que moi.
Après, allez et repentez-vous. Saint Augustin est magnanime. N’oubliez pas de prendre un petit verre de rouge avec le fromage, c’est excellent pour le repentir.
Le Saint-Augustin
15196, rue Saint-Augustin
Saint-Augustin-de-Mirabel
(Sortie 23 de l’autoroute 15, puis 10 kilomètres jusqu’au village.)
(450) 475-8290
Ouvert en soirée du mercredi au dimanche. Possibilité pour les groupes de réserver le midi. Avant boissons, taxes et service, un petit billet à l’effigie de Sir Robert Laird Borden fera l’affaire pour deux personnes.