Il y a longtemps que je caressais le projet de me rendre au Camélia des tropiques, dont la façade, aperçue au passage, avait piqué ma curiosité. J’en avais d’ailleurs entendu le plus grand bien. Il faut dire que j’ai un petit faible pour la cuisine vietnamienne, des soupes tonkinoises – que je me prescris à dose massive, en apprenti sorcier, en cas de rhume ou de cafard – à certains plats où perce encore l’influence française.
Blottie dans le prolongement du chemin de la Côte-des-Neiges, au sud-ouest du chemin Queen-Mary, la maison, qui date pourtant de quelques années, fait presque figure de nouveauté tant est dégarni le créneau auquel elle appartient. On trouve bien ici quantité de petits troquets sans prétention qui, pour trois fois rien, vous nourrissent sainement de soupes ou de brochettes. Quant au haut de gamme ou, si vous préférez, au "moyen de gamme", les choix sont plus limités: Souvenirs d’Indochine, Escale à Saigon et, plus récemment, Ru de Nam.
Dorénavant, le Camélia des tropiques (je ne me lasse pas d’écrire ce joli nom, qui rappelle irrésistiblement Alexandre Dumas fils) fera partie de ma liste personnelle de favoris. Déjà, le décor nous change agréablement des lieux anonymes où l’on se sustente presque sans lever les yeux de ses baguettes. On s’attable dans une petite salle lumineuse, mariage réussi du cosy (petits rideaux devant les amples fenêtres de façade) et de l’industriel (tuyau apparent, peint en noir), élégamment ornée de photos.
La véritable surprise vient cependant de la cuisine qui, sans ambition démesurée, se hisse sans mal au-dessus de la mêlée. On n’aurait pas assez de trois ou quatre visites à deux pour faire le tour de ce long menu intrigant, truffé de spécialités inédites. Et les prix sont raisonnables. Du reste, on vous propose, outre la carte, d’alléchantes formules "table d’hôte" en trois ou quatre services.
En entrée, difficile d’échapper aux rouleaux, impériaux et de printemps, qui, d’emblée, annoncent la couleur. Rien à redire: les nems sont croustillants et savoureux, les rouleaux printaniers, légers et frais comme tout. On vous propose aussi, chose rare dans les restos vietnamiens, des calmars frits, croquants dans leur enrobage de farine de maïs et accompagnés, accent asiatique oblige, d’une trempette légèrement sucrée. Les crêpes de riz farcies à la vapeur sont de petits beignets de riz à la texture gélatineuse (qui mettront à rude épreuve votre maîtrise des baguettes), fourrés au porc haché. Un régal… dépaysant. Pour finir, un émincé de canard au basilic, moins réussi parce que la vinaigrette, un peu courte, manque de tonus, que le basilic se fait trop discret et que la viande est desséchée.
Après, vous auriez sans doute intérêt à résister aux séductions de la soupe tonkinoise, dont on propose une version honorable (bouillon goûteux, sans excès de parfum et dégraissé à la perfection), pour jouer les explorateurs. Prenez, par exemple, le mérou à l’aubergine servi sur une pierrade: de généreux morceaux de poisson accompagnés d’aubergine japonaise et d’autres légumes, nappés d’une sauce courte et sucrée qui, sous l’effet de la chaleur, produit une caramélisation irrésistible. Ou encore les roulés de bœuf aux feuilles "lot" grillées: de la viande hachée façonnée en saucisse et enroulée dans des feuilles (qui rappellent les feuilles de vigne) saisies sur le gril. La viande fondante (qui évoque, qu’on me pardonne cette analogie frisant l’hérésie, celle des koubideh perses) et les feuilles grillées au goût sucré font merveille dans la trempette. À souligner, le riz frit offert en guise de complément, d’une délicatesse incomparable.
Si, comme pour moi, le mariage des plats asiatiques et du vin vous laisse sur votre appétit (façon de parler), offrez-vous une bière vietnamienne, la Hue, ou encore un thé au lotus, au parfum riche et déconcertant.
Au dessert, la surprise vient de la banane, qu’on décline sur tous les tons. Sans vous faire hurler de bonheur, la banane caramélisée, enrobée de sucre et saisie à la poêle, plutôt que frite comme toujours, accompagnée d’arachides et d’une sauce à la noix de coco, saura satisfaire votre dent sucrée.
En soirée, comptez de 40 à 50 dollars pour deux, taxes et pourboire compris, avant les boissons.
Bémol: Accueil et service peut-être un peu froids, quoique efficaces.
Dièse: Un long menu rempli de surprises offertes à des prix raisonnables, une cuisine savoureuse et maîtrisée.
Le Camélia des tropiques
5024, chemin de la Côte-des-Neiges
738-8083