Restos / Bars

Rumi : Escapade gourmande sur la route de la soie

"Purifie-toi des attributs, du moi, afin de pouvoir contempler ta propre essence et contemple en ton cœur toutes les sciences des prophètes, sans livres, sans professeurs, sans maîtres."

Djalâl al-din Rûmî, 1207-1273 – Le Grand Livre de la sagesse

Il faut sûrement une belle dose d’optimisme pour ouvrir un restaurant portant le nom d’un des plus grands poètes mystiques de l’Islam aux portes du territoire hassidim de Montréal. L’amusement et l’étonnement provoqués sont renforcés par le fait que le nom de Rumi évoque davantage le soufisme, les derviches tourneurs et la vie contemplative que les envolées culinaires et les extases gustatives.

Ceci dit, le restaurant en question est plutôt intéressant en plus d’être intrigant. Au moment de l’ouverture, il y a presque trois ans, j’étais passé voir à quoi ressemblait le tout. Je m’étais trouvé plongé dans cette ambiance très particulière des cafés étudiants écumés par de grands adolescents aux godasses peintes en bleu, endroits pleins de bonne volonté, mais vides de réels attraits gastronomiques. Les choses ont beaucoup changé en trois ans. Et pour le mieux.

Si l’ambiance baba cool a été conservée, l’ensemble de l’établissement a profité de très évidentes améliorations. La qualité des plats en tout premier lieu.

Le décor est très oriental, un peu de Turquie, un peu d’Iran; le fond sonore est tout aussi exotique et l’on se sent immédiatement à l’aise dans ce lieu de fantaisie moyen-orientale où sont accumulés les rêves d’Occidentaux bien intentionnés.

Le service prend ici toute sa signification. Courtoisie et sourire à l’accueil, obligeance et sourire pendant le repas, compassion et sourire lorsque le client moyen trébuche sur quelque nom de plat un peu trop alambiqué ou simplement trop ésotérique. On aime déjà avant d’avoir goûté quoi que ce soit.

La maison propose deux menus différents pour le midi et la soirée. Grosso modo la même chose dans la composition, une palette peut-être un peu plus étoffée pour le soir alors que le tout est à peine plus cher et aussi savoureux. Sur le recto des menus de la taille des tables des dix commandements: des mezes (prononcez médzé), ces splendides et perfides hors-d’œuvre moyen-orientaux, quelques salades, une ou deux soupes, quatre ou cinq plats à la carte. Au verso, boissons et desserts. Ici, on s’enthousiasmera sans aucune retenue pour ce magnifique jus gingembre et citron, avec orange, vanille et muscade, ou pour ce jus de mangue, proche de la purée. Le jus de raisin Muscad (sic – s’agit-il de raisins muscats ou d’un ajout de muscade?) est un hommage rendu à l’insignifiance en matière de boisson.

Dans les assiettes, ce qui retient surtout l’attention, c’est le soin apporté à la préparation de toutes les propositions, de la plus simple à la plus recherchée. Ainsi l’hummus, que l’on a vu et revu dans tant d’endroits supposément spécialistes en la matière, prend chez Rumi une autre ampleur. Tout le monde a beau partir de la même recette de base – beurre de sésame (tahini), jus de citron, eau, sel, ail et pois chiches en purée – seuls quelques illuminés ou quelques gourmands réussissent un plat qui sort de l’ordinaire. Ici sans doute grâce à l’ajout d’une pincée de cumin, là d’un peu de poivre arménien, ailleurs d’une cuillerée de sumac. Magie des ingrédients hors de l’ordinaire et d’un dosage parfaitement équilibré, comme c’est le cas pour la plupart des plats servis chez Rumi: poivrons rouges rôtis et marinés, vrai fromage féta (c’est-à-dire de brebis) aux fines herbes d’Asie centrale ou yogourt aux concombres, ail, fines herbes et pétales de rose.

En plats principaux, le même travail appliqué retient l’attention et réussit à créer une harmonie propice à l’atteinte de ce sourire béat qui pare le visage du gourmet satisfait. Suleyman, un koresh (sic) de poulet aux pruneaux et épinards, ragoût classique tiré de la cuisine iranienne; Adana kebab, de petites brochettes d’agneau haché, impeccablement grillées; ou Galilée, une belle pièce de saumon parfaitement poêlé et parfumé au pistou. Dans ce dernier cas, si l’assiette ne brillait pas par la générosité de la portion, elle remplissait toutefois de bonheur tant la symphonie des saveurs était jouée avec maestria. Dans chaque plat servi par ces jeunes gens aussi passionnants que passionnés, la recherche et l’introduction d’épices un peu hors de notre ordinaire nord-américain apportent une réelle valeur. Cuisine de cœur et d’instinct plus que de réflexion, elle remplit parfaitement sa double mission: restaurer tout en faisant rêver.

Les desserts amusants – fondant au chocolat, croustade aux cerises et pistaches ou gâteau choco-pistaches – font glisser les gourmands vers la félicité, bercés par la musique orientale, omniprésente et en accord parfait avec le reste.

Et toujours, cette grande amabilité du personnel. Sans mentir, en sortant, j’ai failli aller m’acheter du patchouli et me faire une petite tresse. Ma fille n’a pas paru trouver ça drôle; je vous sais plus à même d’apprécier. Comme vous apprécierez, j’en suis convaincu, votre voyage sur les ailes d’Air Rumi.

Rumi
5198, rue Hutchison
(514) 490-1999. Ouvert du mardi au dimanche de midi à 22 h.
Comptez une vingtaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service.