Restos / Bars

Cube : Éric's Cube

Un passage occasionnel à une grande table, s’il ne fait rien pour respecter le budget, procure des plaisirs immenses et vertigineux. Manger à la table d’Éric Gonzalez fait partie de ces expériences. Le nouveau chef du Cube fait la preuve en sept services que la grande cuisine a sa place à Montréal et, compte tenu de l’achalandage à cette adresse, que les fines fourchettes savent où aller pour vivre de grands moments.

Puisqu’il y a un excellent chef ici, parlons cuisine avant tout ; le reste – ce petit pot qui vient parfois après les fleurs – suivra en temps et lieu.

Le Cube propose une formule qui semble vouloir devenir une norme dans les grandes maisons. Une carte courte, cinq entrées, quatre poissons et crustacés, trois viandes et un plat travaillé pour les gourmets végétariens. Outre le choix à la pièce parmi ces 13 options, la maison offre également un menu "plaisir du goût" en sept services: amuse-bouche trois plats que vous choisissez, fromage, pré-dessert et dessert.

On est ici au royaume de la haute gastronomie et, dans cet univers-là, les choses se doivent d’être enrobées avec un soin qui frise parfois la préciosité. C’est le cas de l’intitulé des plats qui annonce avec tambours et trompettes. Il relève malgré cela de la poésie et, ce qui est bien ici, cette poésie se poursuit sur la table.

Chaque assiette qui sort des cuisines de Gonzalez est en effet montée avec un soin digne des plus grandes toques et mériterait de figurer en photo dans un livre de cuisine tant l’harmonie y est parfaite. Et la grâce. Et l’équilibre. La noix de ris de veau rôtie et glacée, piquée de réglisse, asperges rôties au lard et d’autres en fine marmelade avec quelques échalotes confites, jus goûteux tranché au beurre noisette (ouf!) et le foie gras de canard et pain d’épices moelleux, "mendiant" (ce petit assortiment de quatre sortes de fruits secs qui peut, comme c’est le cas ici, être un rayon de soleil) préparé par nos soins, quelques girolles et oignons au vinaigre, vinaigrette au moût de raisin (re-ouf!) constituaient de véritables œuvres d’art et leur présentation remplissait à la perfection leur rôle d’allumage. Avant même de goûter, on est admiratif. Une fois l’assiette finie, on se demande si l’on n’a pas rêvé.

Même chose pour le poisson, ce soir-là un bar en filet épais, pistou d’herbes aux coquillages et crevettes en brochette, pâtes au citron liées au mascarpone. Belle pièce de poisson, à la chair gorgée de senteurs marines, mariée à des accompagnements qui en transcendaient encore la qualité. Le choix des pâtes, de délicats strozzapretti présentés dans un petit bol, était, là encore, on ne peut plus heureux.

Et pour cet agneau mariné aux écorces d’agrumes, marmelade d’oignons, des fruits, des légumes cuisinés ensemble, jus goûteux aux saveurs d’Orient. La viande, cuite sous vide – technique chère au chef de l’endroit – était d’une exceptionnelle tendreté et les accompagnements préparés avec minutie et doigté concourraient à faire de ce plat un des meilleurs moments passés à table depuis fort longtemps. Le délicat couscous de chou-fleur, servi en support additionnel, avait lui aussi une grâce remarquable.

Suivent quelques fromages d’ici et d’ailleurs, avec accompagnements de pistou d’herbes un peu amères, de compote de cerises griottes (y a-t-il des griottes chez les bananes ou les kiwis?) et d’un miel aux truffes absolument orgasmique.

De purs moments de bonheur gourmand que ce chocolat en fin biscuit mi-cuit, parfait glacé au Bailey´s, sorbet cacao, tuile orange café ou cet ananas confit longuement au four, crème légère et strusel coco, crème glacée rhum-raisin, le bouillon au citron vert. Tout en délicatesse, en subtilité et en douceur. On retrouve dans les desserts cette touche de féminité qui, mêlée à une puissance peu commune, rend la cuisine de Gonzalez si intéressante, si attachante et vraiment exceptionnelle.

La carte des vins et le sommelier en fonction sont au diapason de la cuisine ; l’accueil aussi ; le service, la plupart du temps.

Rien n’étant parfait, il reste certains points à améliorer au plus vite. Par exemple, quelques incongruités du côté de la facturation des extras, facturés ou non et sans logique (mais l’on n’insistera pas trop étant donné que c’est au bénéfice du client s’il est moindrement observateur). Ou encore, cette façon pour le moins étrange de prendre les réservations qui nuit à tout le monde. En effet, dans un établissement servant ce type de cuisine, où tous les éléments de chaque plat sont préparés à la minute, voir arriver 90 % de la clientèle entre 20 h et 20 h 30 est une aberration. Et n’augure rien de bon pour le client tant soit peu affamé. Et entraîne des lenteurs inacceptables. Ou, pire encore, des cuissons ne correspondant pas aux demandes spécifiques, comme en fit l’expérience notre voisin de table, bien élevé, mais très fâché et à juste titre.

En cette année d’olympisme, le Cube mérite cependant de monter sur le podium, ne serait-ce que pour cette cuisine allumée que l’on a le bonheur d’y déguster et pour le travail remarquable du chef et de sa brigade. Arrivé là, or, argent ou bronze importe peu, selon moi.

Cube

355, rue McGill

(514) 876-2823. Ouvert midi et soir, sept jours sur sept.

Comptez un beau billet brun par personne avant boissons, taxes et service. Cher? Absolument pas. Quand c’est aussi bon, on peut accepter avec le sourire de s’appauvrir momentanément.