Restos / Bars

Restaurant Nirvana : Allers-retours Delhi-Bangkok

Dans le merveilleux monde de la restauration, un changement de nom signale en général une nouvelle orientation, sinon une nouvelle administration. Dans le cas présent, il y a de quoi être perplexe puisque l’ancien nom de l’établissement, "Formosa", cohabite avec le nouveau, "Nirvana", d’où une certaine confusion.

Laquelle se poursuit du reste à l’intérieur. Dans mon souvenir, en effet, le resto, il n’y a encore pas si longtemps, faisait dans les cuisines thaïe et chinoise. Voilà maintenant qu’il donne de propos on ne peut plus délibéré dans les cuisines thaïe et indienne. Or la serveuse, interrogée sur cette conversion, m’assure que le changement date d’au moins deux ans et demi, ce que semblent démentir quelques pérégrinations sur Internet. Mais à quoi bon chipoter sur des détails? Après tout, on est là pour manger.

On se méfie, non sans raison, des restos aux ambitions démesurées, du genre "spécialités: mets chinois, italiens et canadiens". Tout juste si on n’ajoute pas "etc." Qui trop embrasse, mal étreint, comme dirait l’autre. Et pourtant, l’idée de retrouver sous un même toit deux grandes cuisines a quelque chose de séduisant. On a vraiment le sentiment d’appartenir à une ville du monde, impression que renforce la liste imprimée sur la porte: "Singapore, Vancouver, Calgary, Warszawa" et je ne sais plus quelles illustres cités. Sans compter que, à la croisée des très urbaines rues Sherbrooke et Saint-Denis, on est indubitablement dans le coup.

D’ailleurs, le lieu est à l’avenant: une salle spacieuse, dans les tons de gris, au décor zen de bon goût, des tables espacées, des banquettes confortables, des éléments de décoration étudiés. On a malgré tout l’impression que la maison se cherche encore, à cause de l’ambiance un peu éteinte (il faut dire qu’il n’y avait pas grand monde, ce soir-là) et de l’habillage des tables – nappes et serviettes en papier – qui jure avec l’environnement beaucoup plus chic.

En cuisine, fort heureusement, les choses sont beaucoup plus nettes. Les pages du menu comportent deux colonnes, l’une pour les plats thaïs, l’autre pour les plats indiens, et les spécialités se répondent l’une l’autre. Histoire de goûter un peu à tout, nous avons choisi, en entrée, les samosas à l’agneau, petits beignets qu’accompagnaient une trempette à la menthe très dense et les quenelles (sic) aux arachides, qui rappellent les beignets aux arachides auxquels les restos chinois nous ont habitués, à ce détail près que la sauce, cuisine thaïe oblige, est mêlée de lait de coco. Rien à voir avec des quenelles, donc, mais malgré tout délicieux. La salade channa, faite de pois chiches, est plaisante et rafraîchissante, mais sans plus. Pour 4,95 $, on espère davantage. Beaucoup plus réussis sont les sacs d’or, baluchons farcis d’un hachis de poulet et de crevettes qu’on a passés à la grande friture et qu’on sert avec une trempette aux piments légèrement sucrée. Une belle découverte.

Pour ce qui est des plats principaux, commençons par le sous-continent indien. Le poisson jalfrezi constitue une heureuse surprise. D’abord, on a plutôt l’habitude de voir le poulet traité de cette manière, qui rappelle irrésistiblement la cuisine chinoise. Ici, on a affaire à de beaux morceaux de poissons frits dans une panure légère, nappés d’une sauce un peu sucrée et accompagnés de petits légumes, façon "général Tao" en plus fin. De retour en Thaïlande, l’agneau doux à la menthe est un véritable bonheur. De beaux morceaux de viande tendres à souhait, quelques légumes et un jus de viande parfumé, divin, qui aurait été tout à fait à sa place sur de l’agneau apprêté à la française. Ce n’est peut-être pas le nirvana, mais ça rend le karma drôlement plus supportable. Mention honorable aussi aux légumes au cari vert, où s’étaient glissés quelques morceaux de tofu et d’ananas, qui faisaient merveille avec le riz au jasmin présenté dans un joli bol.

Les desserts ont beau ne pas être le point fort des deux cuisines représentées ici, les propositions de la carte – glaces, sorbets, gulab jamun – pèchent par manque d’imagination. On souhaiterait que la cuisine fasse un peu plus d’efforts, quitte à s’aventurer dans les eaux troubles de la fusion, au risque de faire hurler les puristes.

Expérience, en somme, tout à fait agréable. Et, pour reprendre le mot de ma compagne, qu’impatientait ma retenue de chroniqueur occupé à chercher la petite bête: "Tu en connais beaucoup, toi, des restaurants où on finit son cari vert avec du pain nan?"

Bémol: ambiance plutôt morne.

Dièse: beau décor, plats thaïs et indiens bien maîtrisés et distinctifs.

Restaurant Nirvana

2115, rue Saint-Denis

282-1966