Les bonnes tables ne se comptent pas par centaines dans le Village, pourtant peuplé de fines bouches. C’est un peu à désespérer de voir que la communauté gaie, généralement si allumée et avant-gardiste en d’autres domaines, est d’une affligeante banalité quand vient le moment de passer à table. Du moins au restaurant. Le quartier s’enorgueillit d’une ou deux adresses tout au plus où il fait bon s’asseoir pour découvrir une cuisine digne de ce nom. On peut dorénavant en ajouter une troisième, O’Thym, pas nécessairement en première position, mais au moins dans le court peloton de tête.
Il y avait autrefois dans ce local un petit café relativement anonyme. Les choses changeront avec ce O’Thym. Les gens qui l’ont fondé ont une certaine expérience dans la restauration et de belles réalisations à leur palmarès. À l’Os dans le Mile-End et Les Infidèles sur le Plateau. La formule reprise ici est très similaire, pour ne pas dire identique, mais on aurait tort de s’en plaindre puisque les résultats aux deux autres adresses sont fort agréables.
Sobre, le décor apaise par son élégante simplicité. Sur le mur du fond, un immense tableau noir annonce les festivités du soir. Beaucoup de bois très clair et quelques touches de couleurs apaisantes allègent les pans de briques. Pas de Picasso aux murs, mais un "concept" assez plaisant à regarder. Une longue banquette coussinée et des chaises plus confortables que leur design ne le laisse craindre. De grands miroirs, 46 ampoules et quelques pièces de décoration bien choisies complètent le tout et créent une belle impression de lumineuse tranquillité. Derrière le comptoir, le personnel s’agite quand même avec sérieux. Ça rassure toujours le client observateur.
Le service est assuré par de jeunes gens semblant aimer ce qu’ils font et à l’enthousiasme communicatif. À midi, le choix est restreint mais bien équilibré: viande, poisson et petites entrées pas compliquées. Pour une poignée de piécettes, on peut se sustenter agréablement. Le soir, le programme devient un peu plus sérieux. Un petit potage carotte et gingembre permet de se préparer les papilles. Qu’en dire de plus si ce n’est qu’il goûte la carotte et le gingembre, ce qui constitue un exploit pour bien des chics restaurants.
En entrées ce soir-là, un plat amusant, l’autre un peu soporifique. Les bâillements vinrent du tartare de saumon deux façons et purée d’avocats; dans ce cas, un peu trop purée d’avocats et saumon, deux éléments d’une solide platitude gastronomique, n’en déplaise à la Fédération des salmoniculteurs et au Barreau du Québec. Le plat manquait cruellement de sex-appeal et, même généreusement salé et poivré par mon enthousiaste ado chérie, il eut pu finir en petits pots pour nourrisson. L’artichaut frais, par contre, déclencha hourras, bravos et autres tapages qui amenèrent les tables voisines à en passer commande à leur tour. Bien présenté, rehaussé de céleri, de chayotte et de carottes, avec une touche d’une jolie vinaigrette sur talons hauts, le tout était stimulant comme doit l’être une entrée réussie.
Suivirent les plats de résistance. Filet mignon (qui l’était vraiment) aux pleurotes et oignons rouges rôtis, puis saumon à l’unilatéral à la vinaigrette de groseilles. Dans les deux cas, la générosité du bovin et celle du salmonidé contribuaient à en faire une fête. La viande était d’une tendreté émouvante et le morceau servi – et cuit exactement comme on l’avait spécifié – était d’une taille suffisante pour calmer un solide appétit. Le poisson, sans doute gêné de sa platitude en entrée, était beaucoup plus fringant ici; belle cuisson, croustillante croûte et chair moelleuse, parfums subtils et couleurs appétissantes.
On gagnera à diversifier joyeusement les accompagnements, bok choï, chou rouge, carotte, courgette et purée de pommes de terre douces ne se mariant pas nécessairement avec tout. Et puis, on peut pour le même prix mettre dans l’assiette des choses autrement plus dynamisantes. Le client appréciera, à n’en pas douter. Et les jeunes gens appliqués qui travaillent en cuisine pourront ainsi laisser éclater tout leur talent. Eux aussi apprécieront, j’en suis certain.
De petits desserts, amusants sans faire tomber en pâmoison. Quelques eaux venues des quatre coins de la planète, y compris une eau corse, que nous aimons particulièrement pour son côté pétillant et facétieux. La soirée ici se passe dans la bonne humeur et le plaisir que l’on ressent à être venus à une bonne adresse. Même si vous aimez les eaux corses, vous pouvez apporter une bouteille de Gigondas; ça se marie bien avec la cuisine locale. Tire-bouchon fourni.
O’Thym
1112, boulevard De Maisonneuve Est (coin Amherst)
(514) 525-3443. Ouvert du mardi au dimanche de midi à 22 h.
À midi, comptez une vingtaine de dollars par personne avant boissons (ici, de l’eau d’accord, mais ce n’est pas donné), taxes et service. En soirée, doublez; si vous êtes en forme et pas trop vigilants, triplez. Mais vous n’êtes pas obligés.