L’ouverture d’un troquet vietnamien éveille chez le chroniqueur gourmand des sentiments mitigés: tout en se réjouissant de l’apparition d’une nouvelle maison où manger sainement sans casser sa tirelire, il se demande s’il trouvera dans un humble bol de soupe matière à "chroniquer". Que reste-t-il à dire une fois qu’on a dûment encensé la souplesse de la nouille, le croquant de la fève germée, le "saignant" du bœuf et, pendant qu’on y est, le "tripant" de la tripe?
Établi depuis peu sur le chemin de la Côte-des-Neiges, Phó 198 (qui, signe des temps, occupe l’ancien local d’un resto français, Aux Deux Gauloises, pour ne pas le nommer) accroche l’œil du passant: devanture moderne qui, à la tombée de la nuit, se colore d’une jolie teinte orangée. (Énigmatique, le nom serait une sorte de jeu de construction ou de déconstruction sur le chiffre "9", réputé chanceux.)
Le décor hétéroclite, amusant amalgame de kitsch et de moderne, est à l’avenant: la salle à manger, extrêmement colorée, mêle avec plus de recherche que de moyens une panoplie d’éléments décoratifs formant un tout sympathique et agréable. Ajoutez un service prévenant et vous retrouvez là une ambiance qui fait contraste avec celle des établissements purement fonctionnels où on avale en vitesse sa ration de soupe tonkinoise.
Elle est comment, au fait, la soupe tonkinoise? Fort bonne, servie comme il se doit, déclinée en trois "formats". Comme souvent, les propositions vont du familier (bœuf saignant) au plus exigeant (tendon, flanc cuit, blanc ou croustillant). Seuls le temps et le pif des aficionados nous diront si elle a assez de panache pour soutenir la concurrence implacable des institutions qu’on retrouve plus au nord, genre Phó Lîen.
Auparavant, cependant, vous aurez probablement lorgné du côté des entrées. Outre les rouleaux impériaux (farcis à la viande, servis bien chauds et croustillants à souhait) et printaniers (accompagnés de l’habituelle trempette aux arachides relevée ici de lait de coco), on retrouve des ailes de poulet frites sans vice ni vertu et une amusante variation sur le thème du rouleau printanier où, clin d’œil aux sushis, on remplace la feuille de riz par une feuille de nori. Le cône ainsi formé, retenu, détail incongru, par un cure-dent, est garni de porc barbecue, de vermicelles et d’un peu de laitue. L’idée est amusante, mais le produit fini, difficile à manger et un peu fade. À peaufiner.
Tiré d’une carte un peu prévisible, où rien, le vin excepté, ne coûte plus de dix dollars, le "riz au poulet au cari", malgré son nom laborieux, est un régal. Loin des préparations âpres, pour ne pas dire âcres, qu’on nous sert trop souvent, le cari déborde ici de saveur, grâce au lait de coco ajouté à la sauce, qui rappelle, en plus doux, les currys thaïs. Même remarque pour le "riz et crevettes sautées au basilic" à la sauce sucrée avec doigté, où ressort le parfum inimitable du basilic thaï. À midi, on vous propose la même carte, à laquelle s’ajoute un plat du jour, tel ce ragoût de bœuf qui, en dépit de morceaux de viande un peu grasse et d’une sauce qu’on aurait souhaitée plus parfumée, change agréablement de la routine.
Contre toute attente, la véritable surprise arrive au moment du dessert. Phó 198 vous propose en effet le "bubble tea", qu’on aurait peut-être dû traduire par "thé aux bulles". Cette boisson sucrée, qui fait fureur à Taiwan, d’où elle est issue, vous est proposée en une vingtaine de parfums, qui vont du plus connu (chocolat) au plus exotique (taro). Les bulles en question, ce sont les grains de tapioca foncés à la texture gélatineuse qu’on aspire, en même temps que le liquide, par une paille surdimensionnée.
Sinon, optez pour le flan, servi recouvert de petits glaçons, sur un caramel au café, ou, mieux encore, pour le "Dessert aux trois couleurs" ou le "Dessert sucré Phó 198", savants et exquis "poudings" à base de tapioca et de fèves broyées et entières. De quoi devenir accro.
Si le soussigné avait un jour pensé inviter ses lecteurs à aller dans un resto vietnamien pour le dessert… Décidément, on aura tout vu.
Une quarantaine de dollars à deux, taxes et pourboire compris, sans les boissons.
Bémol: Les toilettes ouvrent en plein sur la salle à manger, inconvénient que rachète en partie seulement un joli paravent.
Dièse: Un décor hors du commun pour ce genre d’établissement, une cuisine savoureuse, des desserts qui valent le détour.
5193, chemin de la Côte-des-Neiges
(514) 345-8887
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Jean-Philippe Tastet et toute son équipe