Restos / Bars

Dîners légers en décembre : Trois petits cochons économes – deuxième partie

Comme leurs cousins dont je vous parlais dans la chronique du 18 novembre, ces trois petits cochons-ci sont d’une gourmandise débridée. Tous trois classés au firmament du Guide Restos Voir avec cinq étoiles, ils sont aussi connus du grand public, à tort ou à raison, pour pratiquer des prix dépassant un peu le budget habituel que l’on réserve aux sorties gastronomiques. Je maintiens que lorsque la qualité est à ce point exceptionnelle et que l’on décide de se payer une grande sortie, on devrait être prêt à quelques folies, ce qui sous-entend entre autres "casser son cochon".

Nos petits gorets de cette semaine ont ceci de particulier qu’ils ne manifestent leur générosité du dîner que pendant le mois de décembre. Forme moderne des rois mages, au lieu d’or, d’encens et de myrrhe, ils apportent confits, ris de veau et bombes chocolatées. Qu’est-ce qu’on évolue quand même! Le reste de l’année, ils passent leurs midis au bureau, à manger des sandwichs comme tout le monde ou presque. Pendant le mois de décembre en tout cas, tout le monde est content: les clients, qui peuvent inviter à moindres frais et déguster des mets étoilés; les chefs, qui peuvent s’épuiser avant les Fêtes; et les restaurateurs, qui accueillent davantage de gastronomes et font découvrir leur maison à de nouveaux clients.

Cette semaine, pas de classement, ces tables se situant toutes les trois dans la catégorie "Groin d’or". Je vous suggère plutôt un itinéraire en trois cadeaux de Noël à faire à ceux que vous aimez et qui aiment la table autant que vous.

Cadeau A: Marc de Canck, chef-propriétaire de La Chronique, cuisine comme on rêve de le faire quand on sera grand. Talent, travail, créativité, rigueur. Cet homme-là impressionne. Sa brigade suit avec application le grand maître dans ses élucubrations gastronomiques. Le tout sous la houlette dynamique de son chef de cuisine, Olivier de Montigny.

Pour ce mois-ci donc, La Chronique prépare des choses aussi lumineuses que la soupe de poissons à ma façon (celle du chef, pas la mienne) et son croûton de rouille au gruyère ou la crème de courge musquée, lardons et noisette, huile de truffe. On décolle déjà. Une fois dans la stratosphère, on stabilise avec le plat emblématique de la maison, le magret de canard "blackened", caviar d’aubergine et crevettes grillées ou une pièce de turbot, coquillages aux pistils de safran et légumes du moment. Un choix de dessert du jour, un café et je vous mets au défi d’avoir un après-midi productif tant vous aurez du mal à revenir sur terre. Une trentaine de dollars pour un moment d’élévation de l’âme et du reste, et la certitude de voir flotter de joie votre invité(e) qui vous en sera éternellement reconnaissant(e).

Cadeau B: Ouvert en avril 2003, le restaurant Les Chèvres s’est tout de suite imposé en proposant une cuisine allumée, inventive et généreuse, sortie de l’esprit épicurien de Stelio Perombelon, le chef. Lorsque le public a critiqué le choix végétarien, la maison s’est ajustée en offrant en plus quelques plats pour les non-végétariens. Lorsque l’on a critiqué les additions élevées, les propriétaires ont également très bien réagi en ne faisant pas de compromis et en conservant des choix de produits hors pair et des créations qui, pour les connaisseurs, justifient amplement le coût d’un repas dans cet enclos. Pour les midis de décembre, une dizaine de plats pris parmi les coups de cœur des clients depuis l’ouverture. Vous choisissez trois plats et en route pour la gloire.

Pour commencer, une crème de lentilles, gelée chaude d’amandes, petite coriandre, suivie de trois petites crêpes aux asperges, ragoût de champignons et salsifis, le tout complété par un poisson du jour poêlé, purée de courge, pomme de terre ratte et vieux balsamique 12 ans d’âge. Je suis resté bouche bée, en état de lévitation, le sourire aux lèvres. Le dessert de Patrice Demers, le petit génie local qui crée des desserts quasi illégaux, complète la félicité. On ressort heureux en chevrotant des remerciements. Le tout coûte 25 dollars, plus 6 pour le dessert. Une affaire, je vous assure.

Cadeau C: Le restaurant Les Caprices de Nicolas fait partie de ces quelques adresses que l’on conserve pour les grandes occasions. C’est très beau, très bon et plus cher que chez Nickels. Bien sûr, le plaisir passé sous la verrière, à se faire servir des plats délicats par du personnel compétent, compense amplement l’assèchement momentané de la tirelire. Table chic, expérience exceptionnelle. Ce mois-ci comme cadeau de Noël, Dan Medalsy, propriétaire, et Loïc Chazay, chef, concoctent des choses ravissantes, préparées avec brio.

En entrée, saumon de l’Atlantique fumé et blinis tièdes, accompagnés de crème semi-montée au caviar et de jeunes pousses de moutarde ou quelques huîtres Verde du Nouveau-Brunswick juste ouvertes, vinaigrette de jus de lime et huile extra-vierge, échalotes au vinaigre de cidre. On peut faire suivre par un jarret agneau braisé, pommes de terre rattes bleues et olives provençales, compotée de fenouil au miel, jus corsé au citron confit et huile d’orange, ou par un bar de ligne à l’unilatérale, risotto de girolles et copeaux de Reggiano, caramel de balsamique perlé. Et, si vous croyez vraiment au père Noël, ce que je vous souhaite, vous pouvez clôturer avec une crème brûlée infusée au gingembre sauvage, sucre de cassonade, et son biscuit à la vanille de Tahiti, ou avec un moelleux choco-griotte, sauce au cacao amer et yogourt, sucs de griottes et quenelle de mousse Guanaja. Vous dire tout le plaisir que vous aurez prendrait plusieurs pages. Vous assurer que votre passage à cette table restera dans votre mémoire comme un très beau cadeau de Noël est la moindre des choses. 49 $ pour trois magnifiques services.

Un dernier conseil, le même que la dernière fois: tous ces prix sont pour une personne, avant taxes et services. Si vous voulez qu’ils restent avantageux, ne prenez rien d’autre que ce qui est au menu. Ces petits cochons sont généreux et tout aussi astucieux; ils savent combien il est difficile pour un(e) gourmand(e) de résister à un foie gras, même facturé une petite fortune, ou à un petit verre de Château d’Yquem. Sans vigilance de votre part, l’addition doublera ou triplera, le temps de dire "oink".

La Chronique, 99, avenue Laurier Ouest, (514) 271-3095

Les Chèvres, 1201, avenue Van Horne, (514) 270-1119

Les Caprices de Nicolas, 2072, rue Drummond, (514) 282-9790