Quand vient le moment de choisir un bon restaurant où aller avec les gens qu’on aime, les critères de sélection se raffinent; tel endroit: trop jet-set; tel autre: trop coincé; tel autre encore: trop bruyant. Trop cher est rarement évoqué, même si l’on y pense; on applique le bon vieux principe "Quand on aime, on ne compte pas". On finit souvent par aller aux mêmes adresses, élues au fil des visites. Cette semaine, je vous ai trouvé une petite maison qui risque fort de passer sur votre liste de restaurants préférés où vous emmènerez régulièrement vos chouchous, amis, famille ou personnes que vous aimeriez bien voir intégrer votre famille.
Mes chouchous à moi s’appellent Élise, Béatrice et Juliette. 14 ans, 14 ans et 11 ans, tout un programme. La première, ma fille chérie, me suit au restaurant avec sa propre grille d’évaluation, depuis des années. Les deux autres, amies et filles d’amis, manifestent déjà de belles qualités de gastronomes. Toutes trois sont des personnes charmantes, curieuses et aux goûts culinaires déjà affirmés.
La perle sur laquelle nous sommes récemment tombés au cours de nos explorations gastronomiques s’appelle Le Chou. C’est beau (très), bon (très) et pas cher (ça a quasiment pas d’allure). Ce chou vient d’être ouvert par les propriétaires du restaurant Les Chèvres qui, dans leur grande générosité, ont décidé de couper la chèvre en deux et d’installer ce petit chou dans la moitié de leur enclos où se trouve le bar.
Décor sobre et élégant, signé Jean-Pierre Viau, le Michelangelo de la décoration intérieure; lumières douces, nappes lumineuses; petite trame sonore de circonstance qui vient augmenter le plaisir d’être ici; personnel attentif et attentionné, souriant et reposant. Le menu est minimaliste, clair, alléchant. Aux murs, deux longs tableaux noirs, d’un côté le salé, en face le sucré; on apporte également un menu imprimé pour les clients voulant éviter le torticolis.
La formule retenue par Le Chou est assez simple: carte courte de sept plats salés et cinq plats sucrés; les premiers sont facturés 8 $ (- 2 $ pour une petite soupe genre crème d’oignons doux, mousse de lait truffé, croûton au comté ou + 4 $ pour le fois gras confit, pain d’épices, courge spaghetti aigre-douce). Les sucrés coûtent 6 $. Entre les deux, une mini-sélection de fromages de chez Yannick, fromager éclairé et éclairant. Si je calcule bien – croyez-moi, je calcule très bien -, pour une trentaine de dollars, vous passez une soirée paisible à manger des plats plutôt revigorants, arrosés d’un petit verre de bourgogne. Le choix de vins laisse un peu à désirer, mais ça fait partie des choses qui s’arrangent facilement. Surtout quand on a un voisin aussi bien équipé.
Le grand charme de ce chou-ci vient du fait que les deux jardiniers qui en sont responsables savent vraiment planter les choux. Stelio Perombelon, le chef, sorte de Gregory Charles de la cuisine, prépare avec une apparente nonchalance des choses aussi simples et hallucinogènes que cette salade de betteraves Chioggia, feta de chèvre, vinaigrette à l’échalote rôtie, ou ce curry de pintade, purée de carottes et arachides piquantes. Petites assiettes soignées, très allumées et, en même temps, d’une grande sobriété. Et cette classe se retrouve dans des produits moins "travaillés", comme ces huîtres Rasperry Point, présentées avec un dé de gelée de concombre, une touche d’aneth et une idée de citron. Quasi-nudité de la chose. Émotion. Vagues. Océan.
Le deuxième jardinier s’appelle Patrice Demers. Il est chef pâtissier. C’est un grand chef pâtissier. Je l’inviterai à mon mariage quand je serai grand et que je me marierai. J’aime tous les pâtissiers, mais celui-ci plus particulièrement. Vous l’aimerez vous aussi pour son nougat glacé choco-orange-amandes en sandwich, lait aux fèves de Tonka (une bombe!), son riz au lait de chèvre, prunes et dentelles aux poivres (une deuxième bombe) ou ses fruits exotiques à la vanille, lait de coco moussé et granité passion.
Au moment du dessert, mes trois starlettes ont soudain interrompu leur incessant babil et, toutes trois, ont lévité quelques minutes au-dessus de la table. Je leur avais gardé pour la fin un de ces plats que l’on rencontre une fois dans sa vie et qui nous marquent à jamais. On y entre en sifflotant et l’on en ressort comme de sa première histoire d’amour réussie. La chose s’appelle "Pot de crème chocolat, caramel et sel Maldon". C’est tellement beau que je ne peux même pas vous en parler de peur de le salir. Juste à l’écrire, j’en ai les larmes aux yeux. Parfois, dans un restaurant, je tombe sur un plat sur lequel je pourrais écrire toute ma chronique. Tout y est. Tout est effectivement dans ce "Pot de crème chocolat, caramel et sel Maldon". Un jour, je vous écrirai une chronique dessus. Pour aujourd’hui, c’est juste la plus belle carte d’invitation en ville. Allez-y, faites-moi confiance, je vous assure que vous ne serez pas déçus.
Le Chou
1205, avenue Van Horne
(514) 270-2468
Ouvert du lundi au samedi de 17 h 30 à 23 h.
Plats salés à 8 $ (6 $ pour une soupe et 12 $ pour le foie gras); plats sucrés à 6 $.
Avec une formule aussi intéressante, on voit mal comment ces braves gens pourraient ne pas ouvrir les midis, et très rapidement. Exercez des pressions.
Vous êtes beaucoup plus puissants que ce que vous pensez.