Il y a quelques années, Montréal a été balayée par une vague de bars à sushis; une fois cette mode passée, on entend encore le clapotis de quelques-uns. Aujourd’hui, la nouvelle déferlante porte sur sa crête des plateaux chargés de tapas*; tout le monde ou presque fait des tapas. Et l’on dirait que plus personne ne veut s’appeler "restaurant". On a longtemps préféré "bistro", ça faisait plus convivial sans doute. En ce moment, "bar à tapas" est décidément LE concept chaud. Et, dans le genre, Taza Flores et son pétillant chef sont en feu.
Histoire d’un réchauffement. Vendredi soir glacial; il fait si froid que même mon adorable ado et son troupeau d’amis avachis sont vaillamment restés à grogner à la maison; c’est vous dire. La veille au soir, je suis passé devant Taza Flores; malgré le froid sub-sibérien, il y régnait une ambiance très relax, limite baba cool, tendance 21e siècle. J’ai poussé la porte, pris une carte et humé une belle odeur de coriandre, de tomates en train de cuire et de poissons fumés. Rien de lourd, juste un titillement. De retour à l’extérieur, juste avant de glisser sur la banquise de l’avenue du Parc, je me promettais bien de revenir.
Samedi soir, nous y voilà donc. La musique est bonne, même pour un béotien comme moi qui fréquente les bars à petit régime. Le décor, de beaux restes mélangés à des choses moins originales, est toutefois assez agréable pour que l’on ait le goût d’étudier la carte. Même si l’on est dans un bar, la carte des tapas est beaucoup plus intéressante que celle des boissons, à peu près les mêmes que dans quelques dizaines d’établissements de n’importe quelle grande ville.
Ce sont de petites assiettes, construites sur le principe des tapas espagnoles. Les portions sont donc plus modestes que dans un plat, mais ici, deux ou trois tapas par personne suffisent amplement à combler l’appétit. Les présentations sont sympathiques, un peu brouillonnes peut-être, mais le chef compense en générosité le côté ébouriffé de ses assiettes. Les amateurs de restaurants l’ont connu à au moins trois adresses montréalaises: Le Witloof, Le Bouchon et, bien avant, à L’Odéon. Comme on mangeait plutôt bien aux trois endroits, on s’attend à pareil traitement ici. Qui vient assez rapidement puisque dès cette endive au gratin, on sait que quelqu’un travaille aux fourneaux.
Gravlax impeccable, poisson d’une fraîcheur rassurante et petit assaisonnement sexy, aneth et moutarde de Dijon, puis, comme on est dans un bar, guacamole qui s’avère aussi mexicain que le précédent, pris à San Francisco de Nayarit entre deux Sol et trois Pacifico, sous le regard de braise de la patronne.
Le patron est cuisinier? Ce doit être vrai puisqu’il ose un truc aussi peu orthodoxe dans un tel endroit que cette queue de bœuf, amusante et parfaite: cuisson, présentation et accompagnement de pois chiches moelleux. La viande exhale des parfums de paprika, d’oignon et d’ail, et elle est tendre comme si elle avait passé la nuit dans une cocotte à mijoter lentement.
Le patron est marocain? Sa truite marocaine lui vaudra sans doute les éloges de la cour du jeune roi, dynamisée (la truite, pas la cour) par une belle purée de tomates fraîches réduites et relevées d’une pointe d’ail et de coriandre fraîche, plante que semble affectionner particulièrement le chef du Taza Flores puisqu’on en retrouve un peu partout. Pour le plaisir de tous.
Si vous vous aventurez dans les tapas mixtes, préparez-vous psychologiquement. Le plat est si copieux, si riche et si irrésistible qu’il a vraiment tout pour vous mettre dans l’embarras si vous n’avez pas un très solide appétit.
La crème brûlée était irréprochable; pour la tarte Tatin, par contre, je suggérerais au chef de changer de variété de pommes ou, mieux encore, d’appeler mon ami Marc Côté, roi incontesté de la Tatin, qui lui donnera les tuyaux requis pour briller en ce domaine.
L’ensemble de la prestation chez Taza Flores est très au-dessus de la moyenne; le service a cette chaleur qui fait aimer un endroit presque instantanément et l’on sort de là en sifflotant comme lorsque l’on vient de passer une bonne soirée chez des amis. Je sifflotais effectivement. Et pourtant, ce ne sont pas mes amis et il faisait moins quarante-douze devant la porte. J’ai hâte d’y retourner au printemps.
* Les amis espagnols et catalans expliquent l’origine des tapas – ces amuse-gueules que l’aubergiste posait traditionnellement sur le verre de vin ou de xérès du client – de deux façons. Selon les plus pragmatiques, ces couvercles ("tapas" dans la belle langue d’Antonio et de Penélope) servaient à empêcher les mouches de tomber dans la boisson. Les moins monarchistes soutiennent que, pour faire face aux solides problèmes d’ordre public causés par la tout aussi solide consommation d’alcool dans les tavernes espagnoles, le roi émit un édit imposant qu’une tranche de jambon soit posée sur chaque cruche de vin servie; ceci visait à éviter que le vin ne soit bu seul. Vous ferez votre choix. Pour les explications et pour les consommations.
Taza Flores
5375, avenue du Parc
(514) 274-5516
Ouvert en soirée, dès 15 h, du mardi au dimanche. Le retour des beaux jours marquera celui de la petite terrasse. Comptez une vingtaine de dollars par personne avant taxes et service pour une orgie de tapas. Pour les boissons, on compte sur votre grand sens de la retenue. Enfin moi, pas le patron.