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Mochica : Le Pérou, comme si vous y étiez

L’habit ne fait peut-être pas le moine mais, à l’occasion, on tombe sur une petite maison si bien arrangée et si bien tenue qu’on se dit qu’il fait parfois le restaurant. L’été dernier, en passant rue Saint-Denis, je suivais l’avancement des travaux chez Mochica. Il y a de tout rue Saint-Denis et quand un nouveau restaurant s’y installe, on redoute toujours un peu l’aventure. À travers les fenêtres, celui-ci semblait plutôt original. Ouverture officielle à l’automne; j’ai laissé passer une saison avant d’aller écornifler pour vous. Quel plaisir!

Samedi soir glacial comme dans la cordillère des Andes. Les gens se hâtent de ramener leur grippe à la maison et pas grand monde ne s’aventure au restaurant. Chez Mochica, l’or des figurines mochicas réchauffe la très belle salle. Rien de prétentieux dans le très beau décor, seulement un côté chaleureux. À la table à côté, une famille québéco-péruvienne, maman et grand-maman ayant clairement les traits des Sud-Américains non hispaniques. Une aubaine pour qui n’a jamais mis les pieds au Pérou. On a beau lire et se documenter tant et plus, il y a toujours une limite à ce que l’on peut apprendre dans les livres. Toute la soirée se passera donc en discret espionnage des commentaires de nos voisins de table et, plus tard, en échanges cordiaux de commentaires.

Pour aider le client à se réchauffer, la maison prépare, en toute saison, une petite spécialité péruvienne: le Pisco Sour. Deux doigts d’eau-de-vie de raisin, un peu de jus de citron vert et de sucre, un blanc d’œuf. On passe au mélangeur avec de la glace – un peu bruyant en salle, d’ailleurs, le mélangeur – et on sert en apéritif. Sous le petit chapeau de mousse, bonne humeur garantie.

La carte de Mochica présente des choses surprenantes pour le gastronome moyen local. Par exemple, quand avez-vous mangé du cœur pour la dernière fois? Ou de la lùcuma? Et à part dans Tintin, quand a-t-on l’occasion de croiser un lama? À plus forte raison en daube dans une assiette?

La carte est conçue avec goût, bien équilibrée et intrigante par plusieurs de ses propositions. Une dizaine d’entrées, une dizaine de plats de résistance proposant quatre poissons, trois volailles, trois viandes et un plat végétarien. À peu près rien que nous connaissions ici. Les cuisiniers font venir beaucoup d’ingrédients de Lima et s’approvisionnent dans les marchés pour les produits frais qui conviennent à leurs choix de plats.

En entrée, un ceviche mixte, poissons et fruits de mer, offrait un bel assortiment, bien mariné, très fort en citron et relevé de chimichurri, sauce pimentée qui ajoute une dimension agréable au plat. Dans aucun des plats de Mochica le piment n’est d’ailleurs fort au point où il nuit. Il souligne plutôt et démontre un bon jugement des cuisiniers qui savent les réticences locales envers le feu dans les assiettes. Pétoncles, moules, mini-crevettes et belles lamelles de poisson étaient accompagnés de gros grains de ce maïs blanc, originaire d’Amérique du Sud; on y retrouve un peu le goût de notre blé d’Inde et une texture plus douce.

Grillée et agréablement parfumée au feu de bois, la viande de l’anticucho de corazón était ferme et tendre à la fois. Les morceaux de cœur, présentés en brochettes élégantes, avaient la saveur des fêtes autour du barbecue. Un réel soulagement en mars à 15 degrés sous zéro.

La yuca frita est une petite assiette de grosses frites de manioc, décorées d’une crème à base de fromage frais, lait concentré et piment. Ici encore, le plat est aussi divertissant que savoureux.

Les plats principaux sont accompagnés de riz blanc, de haricots et de sauce relevée de piments très parfumés. Poissons grillés, cuisses de canard ou… lama. Le canard est cuit à la bière noire et très parfumé, viande tendre sous la fourchette mais bien attachée à l’os. Venu d’un élevage situé en Estrie, le lama était présenté en belles bouchées. Sa texture rappelle celle des viandes de gibier de chez nous. Ici aussi, la sauce est subtilement relevée de piment. Manger de ce petit camélidé relève toutefois pour moi strictement de l’obligation professionnelle. Comme de l’autruche, de la tortue ou du kangourou, mais guère plus. Sans commentaire.

Au dessert, tarte au chocolat (que François et Marianne, nos adorables petits voisins de table, n’ont pas voulu nous faire goûter tant ils étaient plongés dans leurs assiettes) et mazamorra morada. Cette dernière – une succulente gelée de maïs noir parfumée à la cannelle, et dans laquelle on a intégré de petits morceaux de coing, d’ananas, de pruneau et d’abricot – est beaucoup plus exotique et tout aussi intéressante.

En fin de repas, Mariella et Alejandrina, authentiques descendantes des Incas, confirmaient l’égale authenticité de la cuisine de Mochica. Normand, le mari québécois de Mariella, secondait et Louis, sept mois, appuyait le tout d’un sommeil profond, attestant la sérénité de la maison. Silencieuse et appliquée, Marianne léchait consciencieusement son assiette, preuve ultime du bonheur.

En plus de la qualité et de l’originalité de sa cuisine, cette maison est si magnifiquement décorée et le personnel, à tous les niveaux, y est d’une telle amabilité que vous voudrez découvrir le Pérou sur-le-champ. Comme quoi un restaurant, ça peut aussi être un remarquable outil de promotion touristique et culturelle.

Mochica
3836, rue Saint-Denis
(514) 284-4448
Ouvert en soirée, dès 17h, du mercredi au samedi. Aux beaux jours, ouverture annoncée les midis. Entrées de 6 à 12 $. Plats principaux de 12 $ (plat végétarien) à 30 $ (lama de Compton). Desserts autour de 6 $.