La Spaghettata existe depuis toujours. À son arrivée en Nouvelle-France, Jacques Cartier, las de manger de la morue séchée, incitait un couple de colons gastronomes à ouvrir la première édition de ce comptoir à pâtes. La version contemporaine, située sur la rue Laurier, ouvrait ses portes en 1979. On y a connu de beaux moments, dans l’assiette et ailleurs. Au fil des ans, la qualité de la cuisine y avait décliné à mesure qu’augmentait le nombre d’enfants très richement habillés et très pauvrement élevés venus jouer entre les tables. L’endroit avait sûrement d’autres qualités, mais pour ce qui est de la cuisine, on avait laissé dépérir même le plus simple des plats de la tradition culinaire italienne.
Une nouvelle propriétaire extrêmement dynamique, une nouvelle gérante qui l’est tout autant, une nouvelle chef et sa nouvelle brigade qui cuisine avec cœur: tout contribue à faire revenir un rayon de soleil au coin des rues Laurier et Hutchison. On a commencé par sortir les babioles, cossins, bébelles et colifichets accrochés à la fin des années 70. Les murs ont été rafraîchis de couleurs reposantes, on a posé sur les tables de belles petites bouteilles d’huile, le client a droit à autre chose qu’un bout de papier rugueux pour s’essuyer le bout des doigts et l’ensemble de la salle a retrouvé une certaine élégance. En fait, le seul élément important qu’a conservé de son prédécesseur cette nouvelle Spaghettata est la qualité du service. Le personnel – parfois en place depuis 10 ou 20 ans, et toujours aussi fringant et efficace – y est en effet d’une grande courtoisie avec les clients, de 7 ans à 77 ans… ou plus.
Le changement majeur toutefois ne se voit pas. Il se trouve en arrière, devant les fourneaux. Candida Presta, que l’on a connue chez Lucca – où elle a toujours démontré une maîtrise remarquable dans l’art du risotto, de l’osso bucco et de la pana cotta -, propose aujourd’hui une approche rafraîchissante de la cuisine à cette adresse autrefois cotée. En fait, madame Presta cuisine. Cela rebutera certainement les pseudo-parents habitués à venir parquer leur insupportable progéniture ici comme dans un quelconque parc d’amusement. Ceux qui y vont avec des enfants élevés, ou sans enfants, la remercieront un jour quand ils auront fini cette assiette de potage à la courge musquée, poire et cannelle – servie brûlante comme toutes ses soupes d’ailleurs -, qui laissera augurer de bien belles choses pour la suite du repas.
En savourant la dernière cuillerée du potage, je rajoutais trois points sur la grille d’évaluation. Qui furent suivis de quatre autres après la salade de fenouil, pommes et ananas. Belle portion, présentation délicate, intéressants à-côtés, comme cette réduction de jus de canneberge et cet accompagnement de limoncello et de coriandre, plein de poésie.
Les points continuèrent de s’amasser au moment du risotto et de la côte de veau. Dans le premier cas, un magnifique Vialone Nano, aux grains tendres et au cœur croustillant comme il se doit, plein de parfums de cèpes, d’asperges et de parmesan: huit points. La gigantesque côte de veau marinée aux herbes, ail et huile d’olive méritait huit points additionnels et une autre demi-douzaine pour le fait que ce soit du veau de lait du Québec, tendre, goûteux, irréprochable avant même d’être travaillé dans la poêle.
Crème brûlée à l’érable et au brandy, panna cotta (l’inimitable crème cuite des Italiens) ou biscotti et vinsanto récoltent 15 points supplémentaires: la crème brûlée pour l’originalité du mariage, la panna cotta pour l’impeccable texture et l’accompagnement judicieux de raisins gorgés de vin et de porto, et les biscottis pour le fait qu’ils sont faits maison et accompagnés d’un vinsanto de la meilleure qualité.
Le choix de la maison de réduire de moitié l’épuisante liste de pâtes vues, revues et trop vues sera applaudi par les clients qui ne venaient plus ici, lassés qu’ils étaient de se voir servir des plats ennuyeux après un demi-siècle de déliquescence culinaire. Le second choix de proposer des tables d’hôte midi et soir, qui se renouvèlent chaque jour, ramènera beaucoup d’ex-fidèles qui, tout en appréciant la salade César et les pâtes aux tomates et au basilic, ne dédaignent pas à l’occasion de goûter quelques plats un peu plus élaborés et infiniment plus originaux. Quand elle décide de prendre les choses en mains, madame Presta prépare par exemple des gnocchis si savoureux qu’on lui en veut de ne pas les mettre plus souvent sur ses tables d’hôte.
La carte des vins gagnera en profondeur au cours des mois à venir. Elle est déjà à quelques années-lumière de la piquette servie autrefois ici. Le travail du caviste a déjà de belles retombées (importations privées et choix de vins au verre, entre autres).
On sent un sérieux désir de refaire de ce restaurant une table prisée. L’enthousiasme de Danielle Matte, la sémillante gérante qui a accompli des prouesses dans de nombreuses bonnes maisons de Montréal, a certainement beaucoup à voir avec tous ces changements. Accueillis par un sourire radieux et une bonne humeur engageante, les clients savent dès leur entrée à la nouvelle Spaghettata que les changements sont pour le mieux et que le passage à cette table est redevenu une fête.
Spaghettata
399, rue Laurier Ouest
(514) 273-9509
Ouvert sept jours sur sept de 11 h 30 à 15 h et de 17 h à 22 h. Tables d’hôte du midi de 12 $ à 20 $ et, en soirée, de 19 $ à 30 $. Compte tenu du plaisir retrouvé de venir savourer ici de vrais repas, le prix est très raisonnable.