Depuis 10 ans, Marc de Canck, chef-propriétaire de La Chronique, gratifie sa clientèle de plats lumineux. Son restaurant est petit – moins d’une quarantaine de places -, entièrement non-fumeurs avant que ça devienne une obligation et totalement gastronomique avant que le terme devienne une mode.
Une quarantaine de personnes étaient là samedi soir. Tout en restant dans les décibels acceptables, les conversations montant des tables prouvent que les convives prennent beaucoup de plaisir. Aux murs, les photos noir et blanc prises par le chef laissent penser qu’il pourrait, une fois à la retraite, envisager une carrière dans ce domaine. Avec toute son apparente simplicité, la salle a beaucoup d’élégance et, quand on s’attarde aux détails, on constate que beaucoup d’attention a été accordée aux petites choses.
Cette élégance se retrouve évidemment dans les assiettes. La carte régulière de La Chronique est relativement petite. Viennent s’y ajouter de temps à autre des éléments pour souligner un événement spécial. En ce moment, le 10e anniversaire de la maison est célébré par un menu de huit services à faire damner tout candidat au régime. La carte des vins atteste elle aussi tout le sérieux de la maison. De beaux vins, de très beaux vins et de très, très beaux vins. Pour presque tous les budgets, à condition que l’on considère cet aspect du repas comme faisant partie d’une fête et que l’on y alloue un budget en conséquence.
Un samedi soir frisquet de mars, tout ce que MM. de Canck et de Montigny, chef de cuisine de son état, posent sur votre table est effectivement une fête. Ce sashimi de thon, par exemple, était une fête marine, impeccablement cuit à l’unilatéral et accompagné d’une petite salade de shiitake, radis et concombre, le tout relevé d’une vinaigrette orientale où pointait un souvenir de gingembre. À la sortie du plat, on pose la fourchette, ragaillardis et de bien belle humeur.
On perd un peu le contact avec la commensale, totalement subjuguée par la volupté de cette raviole à la queue de bœuf, champignons des bois et sa sauce foie gras. Tout est dans ce plat: souplesse, profondeur, amplitude. On voudrait que le temps s’arrête, tant on frôle la perfection.
Mais la spirale du plaisir est prise très au sérieux dans cette maison. Arrivent donc dans la foulée, à gauche, un waterzooï de pintade et de moules parfumé à l’estragon et décoré d’une julienne de légumes et, à droite, un hallucinant duo de lotte et de langoustines, cocotte de champignons et jus de langoustine lié à la patate douce. Le waterzooï (ou waterzoï, si vous voulez abréger) est à Gand ce que la gibelotte est à Sorel. À La Chronique, on lui accorde tous les égards dus à un plat qui, même avec un nom aussi peu érotique, peut prendre des élans poétiques. Bien qu’elle entre parfaitement dans un sac à main, la très mignonne mini-cocotte en cuivre dans laquelle est présenté le gratin dauphinois accompagnant le waterzooï devra repartir dans les cuisines. Elle sera impeccablement nettoyée par contre, le gratin étant on ne peut plus gratiné et dauphinois mieux qu’à Grenoble.
Suit un plateau de fromages auquel on voudrait pouvoir résister, mais qui est si joliment conçu que l’on finit par succomber.
Cette maison est à éviter de toute urgence si vous avez un faible pour les desserts et que votre garde-robe vous inquiète. Olivier de Montigny, qui prétend ne pas être un pâtissier, déploie en effet des trésors d’ingéniosité pour préparer des desserts dignes des meilleures maisons où officient de véritables chefs pâtissiers, diplômés, estampillés, certifiés, et tout, et tout. Il faut dire que son leader spirituel, Monsieur de Canck, ne donne pas sa place non plus en ce domaine.
Vous pourrez préciser que vous voulez quelque chose de léger. Ce sont eux qui décident. Ils opteront peut-être pour un gâteau au fromage façon Chronique (mousse au fromage à la crème, crumble aux amandes, suprême d’agrumes et sorbet à l’orange sanguine), servi dans un croquignolet ramequin que vous nettoierez aussi méthodiquement que les assiettes précédentes. Et si, par bravade, vous prétendez aimer le chocolat, préparez vos papilles puisque leurs brownies au chocolat, ganache grand cru Valhrona, banane caramélisée, glace au café Illy et sauce caramel salé sont à la limite de ce qui se fait sans permis de port d’armes. Comment dit-on déjà en Nouvelle-France? Cochon. C’est ça. Très, très cochon.
Dix ans plus tard, la maison n’a pas pris une seule petite ride. Un décor sage, bon chic, bon genre, mais sans aucune affectation, un service bien huilé, une totale maîtrise des fourneaux. Du grand art. Et le plaisir non dissimulé pour le chroniqueur de faire une chronique très élogieuse sur cette Chronique-là.
La Chronique
99, rue Laurier Ouest
(514) 271-3095
Ouvert du mardi au vendredi de 11h30 à 14h30 et du mardi au samedi de 18h à 22h. À midi, une trentaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. En soirée, menus à prix fixe, 65 $ pour une entrée, un plat principal, fromage et dessert, ou à la carte pour à peu près le même prix.