La veille au soir, j’avais soupé dans un assez méchant petit resto de la catégorie "Apportez votre vin… nous, nous fournissons le couteau pour vous saigner". Mes amis Jean-Pierre et Mirella avaient déboursé 100 $ à deux pour des choses insignifiantes et j’en avais fait une petite crise d’insomnie entre 3h et 4h20, tant je me sentais coupable de les avoir entraînés là. Pas à cause du prix, à cause du fait que ça n’en valait pas la moitié.
Voulant me rattraper, je pris rendez-vous avec eux pour midi au Cartet. Là, tout est rentré dans l’ordre. Nous sommes de nouveau amis et je passe des nuits paisibles.
La petite enseigne stipule: Le Cartet – "Boutique alimentaire"; on pourrait redouter le pire, les deux concepts étant suffisamment antinomiques pour que leur accouplement donne naissance à une bête hideuse plutôt qu’à une belle petite restauration. On aurait tort puisque l’endroit est assez à la mode pour plaire aux jeunes fringants du coin, assez bon marché pour attirer l’attention des petits porte-monnaie et assez soigné côté cuisine pour retenir les papilles délicates. Et la maison est très accueillante, tant le cadre est bien pensé et réalisé avec goût.
Imaginez une longue salle, très claire – soleil devant, soleil derrière -, meublée avec goût et retenue, et dans laquelle navigue un personnel avenant. Aux murs, très hauts et omniprésents, tous les produits que l’on trouve habituellement dans une épicerie fine: pâtes, café, eaux minérales, huiles d’olive, chocolats fins et friandises. Un comptoir réfrigéré et situé juste derrière les cuisiniers affairés et de bonne humeur. Ça rassure toujours.
De belles grandes tables pouvant accueillir une dizaine de personnes, de grands vases fleuris à l’occasion; sur les tables, en plus du sel grec, quelques livres de cuisine et des magazines qui parlent de livres de cuisine qui parlent de magazines, etc. Il règne ici l’ambiance conviviale des grandes tables qui sont encore très en vogue dans les lieux branchés de New York, Londres, Paris et récemment Perpignan. On parle aux voisins de table si l’on veut, mais l’étiquette permet de protéger sa bulle avec dignité. Les petits-déjeuners et les brunchs de la fin de semaine sont reposants; les midis, eux, sont bourdonnants et enthousiastes.
On est aussi dans un endroit sans prétentions culinaires autres que celle de bien faire les choses simples, ce qui constitue déjà un exploit en soi. Ça permet, par exemple, d’indiquer le programme des festivités sur le napperon en papier et de laisser le garçon annoncer les plats du jour, toujours autour du thème de la trinité locale: poisson, pâte, viande. Aussi loquace à sa façon, le napperon annonce, avec sa voix de napperon, quelques entrées, quelques salades-repas, une demi-douzaine de sandwiches – dont une intrigante ciabatta à l’hummus de fèves rouges (note du traducteur libanais intrigué: hummus = fèves) -, desserts, cafés, vins et bières.
À midi, les plats du jour sont servis – moment de crispation chez le client qui déteste les barquettes – dans des contenants de plastique destinés au four à micro-ondes. L’exiguïté de la cuisine explique sans doute la chose; on peut s’en offusquer ou en prendre son parti. Vous pouvez toujours demander une assiette. Si nous sommes plusieurs, nous y arriverons peut-être; même dans une boutique alimentaire, une assiette, ça peut faire partie du concept.
Le plus important toutefois, c’est que, dans tous les cas, la qualité de ce qui se trouve dans les assiettes (ou dans les barquettes conceptuelles) est très au-dessus de la moyenne. Poissons joliment travaillés, tartare de saumon, filet de truite, turbot ou flétan; pâtes divertissantes (je pense avec émotion à ces raviolis farcis de portabella et de ricotta); viandes dans des recettes décoiffantes, le magret de canard à l’anis étoilé de ce midi entre autres.
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin: la maison, toute boutique gastronomique qu’elle soit, a toujours des chefs, des bons ou des très bons. Pour permettre aux clients de finir leur repas sur une note joyeuse, la maison leur offre les créations d’un élégant chef pâtissier – Jean-Charles Favre, puisqu’il faut toujours nommer les chefs pâtissiers quand ils sortent de l’ordinaire. Il prépare des folies sympathiques, comme cette tarte au pamplemousse, qui viennent appuyer l’incontournable tarte au citron, préparée selon la recette de madame Cartet, datant de 1936, et qui n’a pas pris une ride. On espère qu’il va pouvoir pâtisser davantage encore.
Et, dernière bonne nouvelle pour clore cette chronique: ce dîner pour trois, plats principaux, desserts et espresso m’aura coûté 45,36 $. Quand c’est aussi bon que ça, on inscrit tout de suite la boutique gastronomique dans son carnet des bonnes petites adresses.
Le Cartet
106, rue McGill
(514) 871-8887
Ouvert tous les jours, de 7h à 20h en semaine et de 9h à 17h en fin de semaine. Comptez une quinzaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service pour un déjeuner très convenable et une dizaine pour le petit-déjeuner. Si vous arrivez à sortir sans acheter une miche de pain, une petite huile d’olive ou une tablette de chocolat, toutes mes félicitations.