Les gastronomes ont déjà connu le duo Frédéric Mey et Carol Painchaud à La Prunelle. Le premier cuisine, le second sautille en salle afin de s’assurer que la visite ne manque de rien. Au début de l’année, tous deux ont sautillé ensemble et repris ce Bleu Raisin, autrefois bonne table et tombé un peu dans la lassitude. Résultat probant.
La nouvelle maison propose une formule inhabituelle: trois entrées, trois plats principaux; pas de menu papier, mais les six options sont écrites à la craie sur de grands tableaux noirs, intégrés au décor. Les prix sont là aussi. Pour chaque plat, on suggère un verre de vin. Dans le meilleur des cas, on s’en tire pour 46 dollars; si l’on est plus gourmand et plus en moyens, pour 62 dollars; et si l’on est très gourmand et très en moyens, on rajoute quelques dollars et l’on passe un très bon moment à table. Les plats changent hebdomadairement, au gré des saisons, de l’humeur du chef et du vote populaire. On appréciera.
Ayant échoué à plusieurs reprises au cours Onologie 101, je demande à l’occasion à un ami connaisseur de m’accompagner dans ces endroits proposant des choses intéressantes côté carte des vins. Pour valider. On mange, il (ou elle) boit; je ramasse l’addition nourriture, il (ou elle) se charge de l’addition grands crus. Ce soir-là, mon expert-conseil s’appelle Marc; très consciencieux et un peu porté sur la dive bouteille, il est venu avec son épouse. Il boit, Patricia conduit. On les aime comme ça. Vivants. De la carte de vins, Monsieur biberon dit qu’elle vaut, à elle seule, le déplacement. Tant pour les choix que pour les prix. Quand je suis dans le doute, j’applique en plus le vieux principe slovène "Trust, but verify"; dans ce cas-ci, après vérification auprès de plusieurs succursales de notre SAQ chérie, je peux certifier que certaines très bonnes bouteilles proposées chez Bleu Raisin sont vendues quasiment au même prix. Un exploit. Surtout quand on sait que c’est un choix délibéré du restaurateur, pas une erreur de sa part.
Côté cuisine, le chef travaille de très beaux produits et manie avec un certain à-propos des choses aussi exotiques que l’asclépiade, la chicoutée ou le lentin de chêne; un bouton de fleur dans le premier cas, une baie sauvage dans le deuxième et un champignon dans le troisième.
Ainsi, son escalope de foie gras caramélisée au miel de sarrasin posée sur un enchevêtré de betteraves jaunes est joliment accompagnée de gousses d’asclépiade et d’une compote de chicoutées. Comme je suis un peu radin (le plat se détaille tout de même 23 $) et que j’aime bien appeler un chat un chat, je parlerais davantage d’une escalopinette, qui est, comme chacun le sait, la réduction d’une escalopette, elle-même version lilliputienne d’une escalope. Ou alors, c’était le foie d’un tout petit animal. Ne soyons quand même pas mesquins : le plat est succulent, riche, amusant et remplit de bonheur toute personne qui s’en approche.
"Tartelette d’escargots et de lentins de chêne, pignons de pin et graines de cumin torréfié, le tout coiffé du Riopelle de l’Île-aux-Grues" et "Ragoût de pétoncles acadiens tendres arrosés de vinaigre de malt, cassolette de pépins de grenade, lentilles vertes et boutons de marguerite" sont nettoyés méticuleusement et jugés dignes de figurer au panthéon de ce prochain livre de cuisine québécoise à écrire sur l’art de faire bien avec des mollusques assez insignifiants de nature. Je laissai à regret mes convives goûter mes pétoncles, une belle portion moelleuse de langoureux bivalves impeccablement apprêtés et l’on dut littéralement arracher son assiette à Patricia, qui n’avait aucunement l’intention de partager ses escargots avec nous. Et avec vous, indirectement. C’est mal, on ne l’invitera plus.
L’énoncé des plats est un peu laborieux. C’est détaillé au point d’être fastidieux. Selon moi, bien entendu. Je vous laisse juges, comme toujours. Donc, en numéro 1: "Mijoté de jarret d’agneau gaspésien à l’eucalyptus et raisins imbibés au Pineau des Charentes, coulis de Bouq-Émissaire des Bois-Francs et mousseline d’aubergine à l’huile de sésame grillé". Numéro 2: "Filet de sole de Colombie-Britannique à la crème de laitue, poêlée de pleurotes aux crevettes de Matane". Et en numéro 3: "Pétales de cerf de St-Alexis-des-Monts sur fondue de chou frisé au pain d’épices, jus et copeaux de truffe noire himalayenne". Vous êtes toujours là? Tant mieux car, sans entrer dans le détail de chacun des plats, on peut dire que les cuissons sont réussies à la perfection et que les mariages respectifs rendent hommage aux excellents produits utilisés. Parfois un peu excessif, l’enthousiasme du chef transparaît dans ses assiettes et de belle façon. Les portions sont généreuses et, toutes alambiquées qu’elles paraissent, les différentes constructions tombent justes et procurent cette sensation de bien-être caractéristique des très bons plats.
On peut faire une pause avec une assiette de fromages au lait cru du Québec ou quelques copeaux de chèvre noir. Et enchaîner avec une très élégante île flottante sur crème anglaise à la menthe, coulis de fraise à la cardamome ou un "Pot chocolaté, délice de pommes, parfum de basilic et Bouq-Émissaire". La crème brûlée, vous pouvez laisser faire, c’est le maillon faible de la carte, essentiellement en raison de son manque d’originalité. Ce qui n’est certes pas le cas de cette maison et de sa cuisine.
Le Bleu Raisin
5237, rue Saint-Denis
(514) 271-2333
Ouvert du mardi au samedi de 18h à 22h30. Entrées: de 14 à 23 $. Plats principaux: de 32 à 39 $. Desserts: de 6 à 8 $. Très belle carte des vins à des prix défiant vraiment toute concurrence.