Quand on pousse les portes du Château Laurier, on imagine facilement ces voyageurs d’un autre temps, débarquant sur les quais de la gare, juste en face, leurs malles poussées par des porteurs. Le hall cossu du grand hôtel exsude le luxe suranné d’une bourgeoisie qui a cédé la place à des gens d’affaires pressés et à des touristes numérisés.
Le fleuron culinaire de l’établissement, Wilfrid’s, s’est dépoussiéré il y a peu, question de remettre son charme au goût du jour. Marie et moi y sommes accueillies avec une déférence non feinte, et ce sera la même politesse qui marquera tout le repas. On sera attristées par contre de n’être pas servies en français. Ah, les ratés de notre beau bilinguisme…
Le décor, dans les tons de beige aux accents de bleu, est élégant, sans faire ampoulé. Les nappes blanches sont ornées de couverts de qualité et la vue, sur la colline et la rivière, est simplement magnifique. La carte est belle aussi, très canadienne dans les ingrédients, créative dans leur utilisation. Nous décidons de faire le grand plongeon et d’attaquer les invitantes tables d’hôte. À 48 $ par personne, plus 15 $ pour l’accord des vins, ça demeure raisonnable.
En entrée, Marie, Acadienne à la dent fine, teste le calmar grillé. Bien fait, sans être génial, accompagné de pousses de moutarde, d’olives niçoises et de croustilles d’ail éléphant. Des citrons Meyer en conserve et un savoureux pesto de tomates séchées complètent une assiette à la présentation magistrale. Je goûte, d’abord des yeux, un suprême de caille poêlé, servi avec un hachis de dattes Medjool tiède et une salade de mizuna, une verdure japonaise aux allures de jeune roquette et à la saveur moutardée. C’est un beau départ qui ravit aussi les papilles par son contraste sucré-salé délicat.
Elle poursuit avec une longe de veau aux quatre épices, rosée et fondante. Accompagnée d’un fenouil braisé à l’orange – un pur délice! – et de feuilles de trévise et de bette sautées, le plat fait l’unanimité. Je suis heureuse, mais un peu moins transportée, d’un râble de lièvre grillé, farci de foie gras et de truffes. Le parfum de ces dernières, que j’appréhendais trop puissant, est finalement d’une discrétion quasi décevante. Même chose pour la sauce aux châtaignes. Le risotto au vin rouge et champignons King Eryngii est, lui, sans reproche.
Si nous nous sommes sans mal partagé les tables d’hôte, le dessert pourrait se transformer en champ de bataille. Que nenni. Il n’y a qu’un choix, qui nous rendra toutes deux fort heureuses. Un strudel au chocolat, tiède et moelleux, est accompagné d’une crème glacée aux pralines sublime et d’une sauce aux cerises et miel qui crée un habile équilibre. On n’a plus faim et on en redemanderait…
Un très élégant repas pour deux va donc chercher une centaine de dollars, avant vin, taxes et pourboire. On n’en fera pas une folie quotidienne, mais on pourra, l’espace d’un soir, offrir à sa douce moitié la vie de château.
Wilfrid’s – Château Laurier
1, rue Rideau
Ottawa
(613) 241-1414
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PETITE ANNONCE
À partir d’aujourd’hui (28 avril) jusqu’au 10 mai, l’Alberta débarque à Ottawa. Dans le cadre de l’événement spécial Scène albertaine, tout un volet est réservé à la gastronomie de la province du bœuf. Si le Café du CNA profite de l’occasion pour proposer tout un menu inspiré de l’Alberta (du 15 avril au 15 mai), une vingtaine d’établissements, de Beckta à The Works en passant par les Fougères, prendront part à la fête en créant des plats originaux inspirés de la tradition culinaire albertaine. Pour info: www.albertascene.ca.