Restos / Bars

Restaurant Arzou Express : La route de la soie

De loin en loin, je surveillais du coin de l’œil ce petit local en sous-sol, qui abritait naguère un resto philippin dont j’ai rendu compte ici en janvier 2004. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai aperçu la nouvelle enseigne: "Arzou Express, Cuisine Uyghur". Rien ne me plaît davantage que ces maisons qui m’obligent d’emblée à sortir l’atlas et le dictionnaire des noms propres ou encore – signe des temps – à partir à l’aventure sur Internet. Au plaisir de découvrir un nouveau restaurant s’ajoute celui de découvrir tout court.

Les Ouïgours (orthographe que semble privilégier l’usage français) constituent l’une des plus importantes ethnies minoritaires de la Chine. Regroupés dans la province "autonome" du Xinjiang (ou Sinkiang), aussi appelée Turkestan oriental et Turkestan chinois, soit le "Far West" de l’Empire du milieu, en quelque sorte, ils s’apparentent aux Turcs bien plus qu’aux Chinois. En effet, ils ont leur langue, leur religion (musulmane) et, bien entendu, leurs propres habitudes alimentaires. Comme la région est enclavée entre des lieux aux noms qui font rêver (Tadjikistan, Kirghizistan, Kazakhstan, Tibet, Mongolie), sur la légendaire route de la soie, on ne s’étonnera guère de rencontrer une cuisine "métissée", véritable carrefour d’influences.

C’est donc sans véritables points de repère qu’on aborde le menu de ce resto unique. (Il y a bien eu, voilà quelques années, un resto ouïgour sur la rue Sherbrooke Ouest, mais il a depuis longtemps fermé ses portes.) Tant bien que mal, les serveurs vous aideront à choisir, mais, compte tenu des prix pratiqués, vous pouvez vous permettre de courir des risques. Ainsi, en guise d’amuse-gueule, nous avons choisi les samsas et les sambusas (la parenté lexicale avec les samosas indiens n’est-elle qu’accidentelle?): dans les deux cas, il s’agit de "beignets" fourrés à la viande, les premiers, plus savoureux, cuits au four, les seconds frits.

On vous propose des soupes en deux formats. La toho shorpa, par exemple, est au fond une soupe poulet et nouilles, mais là s’arrête la ressemblance. Bien relevée, elle résiste aux tentatives d’analogie. Même remarque pour le pitir manta, chaussons fourrés à la viande et cuits à la vapeur qui ressemblent un peu aux dumplings russes façon pelmenis. On les déguste avec un mélange de vinaigre noir et blanc et un peu de pâte de piment.

Chez les carnivores, les steppes arides évoquent immanquablement la viande rôtie. Ainsi, le ziq se compose de brochettes d’agneau grillé saupoudrées d’un mélange d’épices savoureux. Les cubes de viande sont servis sur d’impressionnantes broches qui font penser à de petits sabres, et les initiés (les enfants y compris) se servent à même. Le plat s’accompagne de frites correctes sans plus, d’une petite salade et de riz agrémenté d’un peu de sauce piquante.

Chaudement recommandé par le serveur, le laghman ne déçoit pas: une belle assiette de nouilles fraîches nappées d’une sauce savoureuse dans laquelle on trouve de petits cubes de bœuf braisé, des légumes croquants et une herbe au goût amer qu’on n’a pas pu identifier pour nous. Détecterait-on un peu de sauce soja? À ce sujet, disons que les baguettes qu’on apporte avec le plat, à notre grande surprise, sont révélatrices et laissent entrevoir l’ombre du géant chinois. Voilà un plat de nouilles simple mais peu banal et délicieux.

Au moment de notre visite, la toute jeune maison attendait impatiemment son permis d’alcool. Consolez-vous avec un excellent thé turc (introuvable ici, paraît-il): de l’eau chaude, une quantité affolante de feuilles et un gros bloc de sucre qui fond à mesure qu’on se ressert d’eau chaude, d’où l’absence d’amertume. Du grand art. Parfait pour accompagner le gâteau à la confiture ou les petits biscuits maison.

Le service est pour le moment un peu hésitant, en particulier le midi, où vous aurez peut-être droit à votre premier sous-marin ouïgour (la formule – viande délicieuse, laitue, fromage et pain quelconque – sera sans doute perfectionnée), et on n’a pas affaire à une cuisine d’un grand raffinement. Le voyage, cependant, vaut largement d’être entrepris. Qui aurait dit que la Côte-des-Neiges se trouvait sur la route de la soie?

Votre étape vous coûtera de 25 à 30 $ pour deux, avant les boissons, les taxes et le service.

Bémol: Les renseignements fournis au sujet du menu ne sont pas toujours limpides; la télé est un peu forte.

Dièse: On propose une cuisine familiale unique et savoureuse.

6254, chemin de la Côte-des-Neiges
(514) 731-2184