Restos / Bars

Version Laurent Godbout : Fort en thème et en version

Il n’existe pas vraiment de période de grâce lorsque vient le moment d’aller visiter un nouveau restaurant. En principe, j’aime bien attendre quelques semaines, ne serait-ce que pour permettre aux choses de se placer et aux gens d’apporter les quelques ajustements nécessaires. Tout principe a ses exceptions; quand un chef établi ouvre une deuxième maison, cette attente de visite est plus brève. Version Laurent Godbout ouvrait mi-avril, je peux vous en parler dès maintenant.

Monsieur Godbout tient avec une maîtrise remarquable le restaurant Chez L’Épicier, un incontournable du Vieux-Montréal pour qui aime les plaisirs de la table. On y mange bien, sans trop de chichis, et la stabilité de la cuisine y est rassurante. Dans son nouvel établissement, on tente diverses variations autour de la cuisine ibérique. Et l’on fusionne avec quelques éléments planétaires, foccacia, côtes levées et autres huiles de truffes. Le tout fait un peu brouillon à première vue, mais quand le voyage est à bord d’un wagon de 1re classe, on se sent plus enclin à participer avec plaisir et à goûter l’apparent désordre. Qui n’est qu’apparent, rassurez-vous.

La maison offre un petit amuse-bouche esthétique et divertissant: confiture de carottes et poivrons rouges, tapenade d’olives et anchois, beurre au pesto et huile éclatée. Une version locale de fougasse accompagne ces petites choses et on se retrouve occupés à goûter, comparer, évaluer, savourer. C’est ludique à défaut d’être éblouissant et tous les éléments ont été choisis avec suffisamment de discernement pour que l’ensemble soit intéressant.

On trouve sur la carte de chez Version Laurent Godbout des propositions un brin ésotériques qui plairont aux esprits non-conventionnels. Un "Flight de sel" en entrée a de quoi décoiffer; sur une belle assiette, quelques bouchées de foie gras, deux ou trois tomates-cerises en tempura de truffes, un petit ramequin d´œufs brouillés et un miniceviche de pétoncles. Ces quatre éléments partagent l’espace avec quatre lignes de sels de couleur et d’origine différentes: Himalaya, au piment d’Espelette, volcanique d’Hawaï et fleur de sel. On marie selon ses goûts, ses humeurs et son imagination. La fadeur des œufs brouillés et l’anonymat des pétoncles deviennent donc relatifs ou même souhaitables.

Une petite entrée de brandade pour témoigner notre affection envers les Portugais et une assiette de salmorejo, cette gazpacho de Cordoue, pour les Espagnols que nous aimons autant, malgré la corrida et la disparition prématurée de Lorca. La brandade retient plus l’attention par la mignonne cocotte qui la contient; on le regrette. Le salmorejo par contre a tout pour inspirer l’amour, texture soyeuse, effluves de safran et de poivron rouge. La version de Monsieur Godbout inclut un amusant petit morceau de jambonneau persillé et un œuf de caille mollet.

En deuxième service, une gigantesque côte de veau de grain accompagnée d’une version "godbouesque" de risotto, pois verts et petites carottes bios, et un demi-poulet de Cornouailles légèrement fumé, grillé et reposant sur une belle purée de pois chiches, raisins de Corinthe, persil, épinards et olives vertes, le tout rehaussé d’un filet d’huile d’olive. Irréprochables, si ce n’est que les portions ont tendance à être un tantinet excessives. Là aussi les choses s’ajusteront, à n’en pas douter.

En desserts, une tarte fine aux pêches glacées au miel – un peu anodine, les pêches en cette saison ne brillant pas particulièrement par leur caractère – heureusement mariée à une savoureuse glace à la mascarpone qui redonne du tonus au plat et un impeccable carpaccio d’ananas, gelée de porto, sorbet à l’ananas, digne de figurer au palmarès des meilleures douceurs de 2005.

Tout le menu est conçu de façon à permettre aux convives de partager les plats, quel que soit l’ordre de ces derniers sur la carte. On apprécie l’intention. À voir la frénésie qui régnait aux tables ce soir-là, on sait que la formule plaît déjà. Le travail accompli par Laurent Godbout, chef-propriétaire, et par Philippe Beaudoin, chef de cuisine, rend la visite ici très agréable. Le décor y est pour quelque chose également et l’attention vigilante du personnel en salle, tout autant.

Version Laurent Godbout
295, rue Saint-Paul Est
(514) 871-9135
Ouvert du mardi au samedi de 18 h à 22 h et, dès la mi-mai, à midi en semaine. Comptez une cinquantaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. Petits plats de 7 à 14 $, grands plats de 19 à 30 $, desserts de 6 à 8 $. Belle carte des vins composée en grande partie d’importations privées; quelques choix au carafon, minidécanteur contenant un verre et demi.