Ô très honorable Tsu (le connaisseur en sushis), soyez le bienvenu ici. Cette nouvelle maison va sans doute devenir rapidement votre demeure préférée. Au cours des dix dernières années, il y a eu à cette adresse plusieurs très bons restaurants; le rigolo ema, ce petit grigri porte-bonheur un peu bizarre suspendu au mur derrière le chef, semble augurer que la tradition de qualité se poursuivra dans ces murs.
Junichi Ikematsu, chef et propriétaire de ce très élégant nouveau restaurant japonais, manie avec un soin remarquable ses yanagis, longs couteaux tranchants comme des rasoirs faisant la fierté de tout itamae (maître cuisinier de sushis) qui se respecte. Calme et serein comme au sortir du Ginkaku-ji, le célèbre temple du pavillon d’argent de Kyoto, sa ville natale, Monsieur Ikematsu salue respectueusement tout nouvel arrivant d’un retentissant "Irachaï massé" (soyez les bienvenus). La plupart répondent par un sourire un peu gêné – on ne peut pas tous comprendre le japonais – ou, parfois, pour les plus jeunes, plus fous, plus bougalous aux chemises à la mode ouvertes sur des pectoraux pleins de promesses, par un tout aussi sincère: "Tu l’as dit, mon Jun i!" – on s’en balance de parler japonais, l’essentiel, c’est de participer.
Bien sûr, Junichi San (ça veut dire "Monsieur Junichi" en japonais et c’est une marque de déférence; je ne parle pas un traître mot de japonais, mais comme je me suis tapé deux journées complètes de recherche avant de pondre cette chronique nipponisante, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas faire un peu l’intéressant; merci (arigato) de votre compréhension), Junichi San, donc, prépare les habituels sushis, nigiris et autres makis. Ils sont bons, très bons, très, très bons. Ma fille chérie qui, à 14 ans et sept mois, consomme le poisson cru comme si sa jeune vie en dépendait, a passé la soirée à suçoter des makis hyper sexy en expliquant à son voisin pourquoi le maki California était meilleur ici qu’ailleurs et en quoi le Spicy Hamachi constituait un progrès remarquable dans l’évolution de notre société.
Bien sûr, le Kaiso trio (trois sortes d’algues – wakame, tosake et ogonori – fraîches, accompagnées d’une très aguichante vinaigrette shiso), le Maguro taru, un tartare de thon rouge avec pleurotes et huile de truffe, le Suzuki usuzukuri, de fines tranches de bar rayé style sashimi, sauce soja au miel et gingembre, ou encore le Maguro kosyo yaki, un hallucinant sashimi de thon au poivre légèrement grillé, champignons honshimeji et sauce soja au vin rouge, sont toutes des entrées dignes de figurer au panthéon de la cuisine japonaise et vous mèneront au bord de l’évanouissement, tellement vous serez éblouis et heureux.
Bien sûr, le menu dégustation (50 $ pour six plats qui vous donneront envie de partir pour Hokkaïdo sur-le-champ et de vous mettre à l’apprentissage du japonais) est on ne peut plus jouissif. Monsieur Ikematsu y fait preuve d’un talent indéniable de fusionner la grande cuisine japonaise et la tout aussi grande, béret en plus, cuisine française. Hotate taru taru (tartare de pétoncles, remplacés ce soir-là par quelques crustacés), avocat, dés de tomate et sauce onctueuse aux parfums de pétoncles. Suzuki gingembre et miel, rien de transcendant ici, à part le mini mesclun de chez Monsieur Daignault. Maguro Koshoyaki, de belles bouchées de thon rouge à peine saisi, mariées à des champignons King Eringuis, sauce au vin rouge et fond de bœuf, quelques gouttes de sauce aux kiwis et échalotes sur le tout. Un petit plat de thon à queue jaune sculpté par le maître de céans et drapé d’un kimono plein de senteurs de miso et de yuzu, ce cousin aux yeux bridés de notre citron occidental. Sushis Omakase (sélection faite, fort judicieusement, par le chef) et dessert.
Bien sûr, tout est très beau, étonnant, éblouissant et tout à fait jouissif. Mais, je pense aussi à votre porte-monnaie, et au mien dans une certaine mesure. L’avant-veille, j’avais donc mangé chez Jun i avec un budget plus modeste: 19 $. Une shiru (soupe), en l’occurrence une splendide miso aux champignons enoki et au tofu (4 $) et un plat de cinq sashimis du jour (15 $). Sur un long plateau en bois blond, quatre poissons différents – kampachi (sauriole), bar rayé de la Méditerranée, anguille de mer, omble de Nouvelle-Écosse – et de belles tranches fines de pieuvre, accompagnés de cinq sauces différentes et de cinq accompagnements de légumes tous très divertissants. Juste à me souvenir que pour le même prix, j’aurais pu être en train de prendre quelques sushis approximatifs dans une échoppe de bas étage, j’en avais des frissons. Et le plaisir de partager avec vous ce moment n’en fut que plus intense.
D’autres détails contribuent au grand bonheur d’être ici: le très beau décor planté par Jean-Pierre Viau, éminent décorateur intérieur québécois, chéri des restaurateurs de qualité, et dans une certaine mesure des clients appréciant le grand confort de son mobilier; la possibilité de prendre le saké au verre et la promesse du chef de servir sous peu une sélection de sakés importés spécialement pour lui du Japon; les magnifiques pièces de vaisselle conçues par Pascale Girardin, maître céramiste à l’âme sensible et au talent incontestable. Je vous en passe et des meilleures.
Jun i
156, avenue Laurier Ouest
(514) 276-5864
Ouvert du lundi au vendredi de 12 h à 14 h 30, du lundi au jeudi de 17 h 30 à 22 h 30 et jusqu’à 23 h le vendredi et le samedi. À midi, vous pouvez vous en tirer pour une vingtaine de dollars par personne et en soirée pour un peu plus du double, ou même du triple ou du quadruple si vous tombez dans ces magnifiques carafons de saké et que vous voulez impressionner la galerie. Extases délicieusement japonisantes dans tous les cas. Post-scriptum: en japonais, "au revoir", ça se dit "sayonara"; excusez-moi, je n’ai pas pu me retenir.