Sans doute la première "recette" que j’ai préparée. Mon amie Francine surveillait les truites pêchées plus tôt dans la vallée et moi, les yeux fermés et le nez frémissant au-dessus de la casserole, j’attendais le moment où le beurre en fondant dégage cette douce odeur de noisette. On avait 7 et 8 ans, gastronomes en jupette et culottes courtes, affublés de parents sensibles à la douceur des soirées sous les platanes et au fait que leurs enfants aiment cuisiner pendant que les grands prennent l’apéro avec les cigales et les grillons.
Sans doute ces souvenirs jouent-ils un rôle dans le plaisir d’être à une table plutôt qu’à une autre. Tant mieux dans ce cas-ci, puisque je peux ainsi partager avec vous le bonheur d’être passé ici et vous recommander la maison, ce qui ne m’arrive pas tous les jours ces temps-ci.
Le Beurre Noisette s’est donc installé dans ce minuscropique local où vous avez peut-être dégusté l’an passé des petits plats chaleureux servis par les patron(ne)s du défunt Puy du Fou. L’exiguïté des lieux, une trentaine de places, ne nuit en rien à la cuisine. Généreuse et tout sauf étriquée. La générosité ne se mesure pas, elle se ressent. Le cadeau de ces petites crevettes de Sept-Îles avec leur mayonnaise, quelques bouchées craquantes de concombres et d’asperges, par exemple, suffisait à mettre de bonne humeur. Un bel amuse-bouche, parfumé, goûteux, stimulant.
La stimulation se poursuit avec les raviolis de champignons sauvages et échalotes, sauce au vin rouge et champignons ainsi qu’avec ce foie gras poêlé servi sur un pain aux noix, poires pochées, sauce madère et raisins de Corinthe, réduction de vinaigre balsamique. Les deux plats laissent une impression non équivoque d’harmonie et de dynamisme. En d’autres termes, c’est bon au point de vouloir arrêter là et aller se coucher tout de suite pour s’endormir heureux, bercé des bons souvenirs laissés par un repas ici. Exception faite, selon moi, de cette pâte de won-ton gauchement utilisée pour le ravioli et qui casse le tempo du plat.
Un plaisir similaire vient des pétoncles poêlés, beurre citronné, risotto aux agrumes confits, champignons et lardons. Tout y est jouissif, textures, saveurs, unions délicates des éléments pour créer un plat emballant. Si l’on monte moins haut dans la stratosphère avec les ris de veau croustillants, sauce à l’érable, polenta, légumes de saison – peut-être parce que les ris sont un peu trop fermes à la suite d’une cuisson exagérément enthousiaste -, on flotte quand même plusieurs pieds au-dessus de l’intersection Christophe-Colomb et Marie-Anne. Ce qui est un petit bonheur non négligeable en ces temps d’aplatissement généralisé de nos élites.
Une assiette de fromages, un petit pot de crème au chocolat ou une très réussie tarte aux poires, glace à la crème sure vous permettront de stabiliser votre montgolfière à une belle altitude. On entend mieux ainsi le bruit rassurant des casseroles qui s’entrechoquent, le grésillement des champignons dans la poêle et le sifflotement du jeune chef en charge de la balade. Il s’appelle Éric Brabant. Il parle de cuisine avec un éclat passionné dans l’œil. Valérie, sa blonde, voudrait poser un nouvel auvent et acheter de nouvelles nappes. On ne doute pas qu’avec le succès que leur minuscule restaurant va connaître, elle pourra faire ça et plus encore. Quoi qu’il en soit, dans l’immédiat, tout ce qui se trouve dans les assiettes sur les nappes du Beurre Noisette vaut amplement le détour et l’absence d’auvent vous permettra de profiter pleinement de la lumière de début de soirée et de voir le plaisir sur les visages de vos convives.
Beurre Noisette
4354, rue Christophe-Colomb
(514) 596-2205
Ouvert du mardi au samedi de 17 h 30 à 22 h. Comptez une quarantaine de dollars (plancher: 34 $, plafond: 45 $) par personne avant boissons, taxes et service. Eau fournie par la maison, vin à apporter. Choisissez une bonne petite bouteille chez votre fournisseur préféré, la table en vaut vraiment la peine.