On ne sait pas trop quand est né Vasco da Gama: 1462, 1465, 1469? Sa mort, ça, oui, on le sait: elle est survenue en 1524. C’est rassurant de pouvoir ainsi compter sur certains incontournables. On sait aussi qu’il appartenait à la prestigieuse école nautique de Sagres, belle ville au bout du menton du Portugal, et qu’en grand navigateur devant l’Éternel, il "découvrit" les Indes en débarquant à Calicut en 1498. Enfin, les Indes avaient été découvertes bien avant par les Arabes qui y avaient installé de prospères comptoirs commerciaux, mais on ne va pas commencer à chipoter.
Le Vasco da Gama qui nous concerne ici est un joli petit café ayant ouvert ses portes au début du mois d’avril, rue Bernard. Comme son illustre ancêtre, ce Vasco vient découvrir. Bien sûr, comme au XVe siècle, la chose a déjà été découverte, mais on ne peut que se réjouir de l’arrivée ici de ce fringant Portugais. En effet, dans ce coin du bel arrondissement d’Outremont, le niveau général de la restauration est assez pathétique. La plupart des restaurateurs de cette portion de la rue Bernard semblent par ailleurs s’en moquer tant l’achalandage est constant et considérer que le simple fait d’être à deux pas des gens du quartier leur donne le droit de se ficher du monde. Pour les amateurs de détails, je reviendrai sur le sujet avec précision sous peu avec une de ces chroniques au vitriol qui semblent faire votre bonheur et me pèsent terriblement à écrire.
Donc, quand arrive un joli estaminet, plutôt coquet et proposant des choses simples et bien faites, tous les amateurs de bonne cuisine se réjouissent. Annick Bélanger, la jeune maman de ce nouveau-né, montre de belles dispositions pour la prestation que les clients sont en droit d’attendre d’un endroit où ils sont venus se poser pour se sustenter et passer quelques moments de détente. Elle sait aussi s’entourer de bons conseillers et de bons membres d’équipage puisqu’elle a embarqué sur son joli navire Carlos Ferreira, à qui l’on doit le meilleur restaurant portugais en ville, et Thierry Baron, un chef qui partout où il est passé – Opus II, Daniel Vézina à Québec, Jongleux Café, Ferreira – a accompli de très belles choses.
L’endroit est beau, suffisamment chic pour ne pas détonner rue Bernard et d’une simplicité telle que l’on s’y sent à l’aise même si l’on ne dépose pas sur la table les clés de la béhemme ou de la Porche. Celles de mon cadenas de vélo m’ont valu un joli compliment du serveur et un autre d’une serveuse. Je n’avais pas commencé à manger que je les aimais déjà; en plus d’être aimables, ils sont efficaces et prévenants, ce qui ne gâte rien.
La carte est courte, quelques sandwiches, très astucieux, une ou deux soupes, très froides ou très chaudes, un beau choix de salades, quatre ou cinq desserts, de quoi se nourrir pour une dizaine de dollars. Si l’on est plus en appétit, on peut se lancer dans du plus sérieux – hamburger au thon grillé ou juteux hamburger au foie gras, dignes d’une petite escale. Toutes ces choses, si simples en apparence, sont préparées avec un tel soin que l’on redécouvre le plaisir de manger simplement. Et comme la simplicité n’est pas la vertu dominante dans le coin, quand on aime le quartier, on apprécie encore plus le bonheur d’être à table ici.
Le soir venu, cette carte légère s’étoffe avec quelques tapas à la portugaise et une petite table d’hôte. Le menu tapas propose une demi-douzaine de choix en petites portions que l’on prend plaisir à partager; c’est aussi le but de la formule. La plupart de ces choix sont intéressants – calmars frits en croûte de maïs, crevettes sautées à la portugaise, accompagnées de lime grillée, croquettes de morue, sauce tartare ou chouriço grillé, marié à une très sexy confiture d’oignon au balsamique. Quelques-uns manquent de caractère, comme ce beignet de crevettes en demi-lune et sauce tartare, qui constitue le maillon faible de la carte.
Au menu de la table d’hôte, quelques plats brillent particulièrement: impeccable soupe froide d’avocat façon gaspacho aux saveurs de menthe, voiles légers de concombres et de poivrons jaunes ou très dynamisant pavé de thon rouge grillé Vasco da Gama, pipérade à la portugaise, poêlée de rapinis.
En dessert, pastel de natas, l’inimitable tartelette portugaise à la crème, salade de fruits frais, tartelette aux fruits ou fondant au chocolat sorti du four, coulant, irrésistible.
Tout le soin et toutes les attentions apportées, tant en cuisine qu’en salle, font de ce Vasco un endroit où se retrouveront les connaisseurs, appréciant le beau travail. Quelques semaines à peine après son ouverture, le café compte déjà une clientèle qui, après l’avoir découvert, en a fait son navire préféré. Prendre la mer est toujours grisant et les Portugais restent encore les plus grands explorateurs.
Café Vasco da Gama
1257, rue Bernard Ouest
(514) 272-2688
Ouvert tous les jours de 7h à minuit (oui, oui, vous avez bien lu; immigrés peut-être, mais vaillants, ça c’est certain). Le midi, une vingtaine de dollars pour deux personnes avant boissons, taxes et service. En soirée, doublez ou plus, si vous succombez aux charmes indéniables de l’endroit.