Restos / Bars

Auberge Ripplecove : Sur les rives sereines du lac Massawippi

Les beaux jours revenus, les dynamiques fourchettes citadines sont souvent prises d’irrésistibles envies de grand air, de chant de mésanges à tête noire, de levers de soleil sur la brume d’un lac ou de plats plus champêtres.

L’Auberge Ripplecove offre tout ça, et plus encore. L’horloge qui sonne gravement aux heures, le personnel discret, empressé et souriant, les tapis moelleux et les murs couverts de tapisseries à fleurs ou aux motifs écossais. Il faut dire que l’on est ici dans une auberge établie et qui, depuis sa fondation en 1945, a eu le temps de s’affirmer comme un haut lieu de villégiature dans les Cantons-de-l’Est. La table avait perdu un peu de son lustre, elle semble l’avoir retrouvé, l’arrivée du chef Charles Dufresne y étant pour beaucoup.

Ne pas trop parler du décor lorsqu’on est ici serait sans doute injuste; le cadre est absolument magnifique, sans doute le plus bucolique de tout ce qui est proposé par les chics auberges installées sur les rives du lac Massawippi. Comme c’est souvent le cas chez nos amis Canadiens anglais, on y constate un respect de la nature qui ne date pas d’hier. L’Auberge Ripplecove, qui fête son 60e anniversaire cette année, est là pour en témoigner.

Trop parler du décor serait tout aussi injuste pour la cuisine, car le côté un peu empesé, pour ne pas dire vieillot, du décor n’a que peu de rapport avec la gastronomie qui est servie ici. De très bons produits, travaillés avec beaucoup de goût et beaucoup de soin, des combinaisons osées qui respectent un certain académisme, des assiettes montées avec un talent et une application remarquables. Une cuisine infiniment plus allègre que la trame sonore indigeste imposée aux dîneurs, comme si l’on estimait que Charlie Haden, Lee Konitz ou Brad Mehldau ne convenaient pas aux lieux; on a beau aimer le classique, le client bâille un peu après une soirée à souper en compagnie de Listz ou de Vivaldi.

La maison propose de très belles tables d’hôte à 55 $, entrée, plat principal et dessert ou, pour quelques dollars de plus, un irrésistible menu à sept services appelé "Les saveurs du Québec".

Le soir de notre visite impromptue, les festivités commencèrent avec un joli amuse-bouche. Dans une cuillère chinoise, un petit concassé de tomates, relevé d’éclats de fromage féta et de basilic thaïlandais. Léger et divertissant, propice à ouvrir l’appétit et tout à fait approprié.

En entrée, de belles crevettes, thaïlandaises également, en tempura dans une friture d’une exceptionnelle légèreté, tant en ce qui concerne la texture que le goût et accompagnées d’une mayonnaise délicatement relevée au gingembre. La friture est préparée à partir d’une chapelure japonaise (pan-ko pour les puristes), qui lui donne ce côté évaporé si intéressant. Un pur bijou. On voudrait s’arrêter là tant on craint que la suite soit moins aérienne. Elle l’est, rassurez-vous.

De l’autre côté de la table, le convive est réduit à un silence quasi religieux par la "pomme de ris de veau poêlé, poireau braisé au miel des vergers et glace de viande épicé [sic] au rhum brun". Quand il frise la perfection, le ris de veau a souvent cet effet sur l’amateur. De plus, ici, ce petit poireau, artistiquement taillé et présenté en parfaite symbiose dans l’assiette, contribuait au recueillement.

Suivirent un poisson et une viande. Dans le premier cas, un imposant pavé de bar noir du Chili servi en croûte de cèpes et posé sur une très dynamique réduction de porto. Chair goûteuse, belles lamelles qui se détachent bien à la fourchette et fine croûte de cuisson très parfumée. Dans le second, un filet de bœuf AAA du Canada, chapeauté – production locale oblige – de fromage bleu de l’abbaye voisine de Saint-Benoît-du-Lac et accompagné d’une marmelade d’oignons rouges et d’une belle purée de yam, tout à fait à sa place. Ici aussi, cuisson impeccable, telle que spécifiée par le client.

Le choix de fromages ne brille guère par son originalité et ceci s’applique également à la crème brûlée "à la vanille Bourbon et miel de trèfle, fruits de saison, tuile aux graines de pavot". Je m’entête à prendre ce dessert galvaudé dans l’espoir de vous en signaler un, à l’occasion, de tout à fait exceptionnel, sachant combien votre dent sucrée prise la chose.

Je n’aurais par contre que du bien à dire de ce mi-amer décadent au chocolat blanc et framboises, glace vanille maison. Chocolat Valrhona Guanaja 70 % et glace très légère. L’assiette repart, nettoyée et attestant du bonheur qu’elle aura procuré.

Pour aider à planer au-dessus des eaux calmes du lac, le client esthète a accès à une carte des vins étoffée et offrant un éventail de choix assez large. Si vous n’êtes pas trop aventurier et en moyens limités, vous ferez comme moi et succomberez à un Côte de Beaune passe-partout, en l’occurrence un Chorey-Les-Beaune 1999, cru d’appellation contrôlée concocté par Michel Guay, et détaillé ici avec la marge habituelle, c’est-à-dire pas donné mais pas plus coupe-gorge qu’ailleurs. Le choix de vins au verre est un peu pathétique, si j’ose m’exprimer ainsi.

Cafés, thés ou tisanes aident à glisser hors de table. Si votre amoureux ou votre amoureuse a eu l’idée de génie de réserver une chambre, vous prolongerez le plaisir sous la couette. Sinon, soyez prudent sur la route. J’aime vraiment vous écrire; surtout quand c’est pour vous parler d’endroits comme ici.

Auberge Ripplecove
700, rue Ripplecove
Ayer’s Cliff
(819) 838-4296
1 800 668-4296
www.ripplecove.com

Ouvert tous les soirs à longueur d’année et également le midi de la fête de Dollard à la fête du Travail. Prévoyez une cinquantaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. Forfaits plus avantageux si vous y passez une nuit ou deux. Ce qui est, sans aucun doute, une excellente idée compte tenu de la beauté des lieux.