Restos / Bars

Raza : Nuevo Latino suculento

Voici de quoi vous procurer la dose d’exotisme que vous recherchez sans aller jusqu’à prendre un billet pour Quito ou Lima. Ce secteur de la rue Laurier commence à ressembler à une réunion de grandes toques originales, et le chef Mario Navarrete Jr. ajoute son nom à la liste prestigieuse des Bassoul, De Canck et autres illuminés de la marmite qui opèrent dans le quartier.

De la rue, ce Raza ne paie pas vraiment de mine. Vitrine étroite, apparence dépouillée, enseigne quasi invisible. On passerait devant 100 fois sans vraiment le remarquer. Et pourtant. À l’intérieur, décor zen, tendance Machu Pichu. Nappes blanches, murs blancs, simplement illuminés de projections venues des Andes; on est à des années-lumière des "kitscheries" habituellement associées à la culture populaire latino. À peine assis, on respire déjà mieux. Et le meilleur reste à venir puisque la cuisine servie ici est une bulle de fraîcheur et d’originalité.

Autant le décor est à la limite de l’austérité, autant ce qui se trouve dans les assiettes éclate comme un feu d’artifice. Textures, couleurs, goûts, tout ici prouve que l’on se trouve en présence d’un vrai chef, allumé, osé et très articulé dans ses créations. À toutes les étapes du repas, cette créativité se manifeste de la meilleure façon et sans faiblir jusqu’au moment de quitter la table.

Avec la chaleur torride qui nous bénit en ce moment, cette petite tasse de crème de maïs, par exemple, était tout à fait à propos. Servie très froide, accompagnée d’une salade de fèves et d’une neige de fromage frais, elle permettait de ramener corps et esprit à une température plus humaine.

En entrées, pomme de terre pour la beauté des sauces qui l’accompagnent, poisson cru pour l’air de la mer ainsi que foie, parce que c’est si difficile d’y résister. Donc, moelleux de pomme de terre Yukon Gold chapeauté de sauces Huancaina et Ocopa, bébés carottes bio. Le tout est surprenant de légèreté et de solidité. Légèreté de la pomme de terre, servie en purée et en petites bouchées soulignées de jus de lime et d’huile d’olive, solidité des deux sauces, fromage, arachides grillées, ail et œufs, piments au goût légèrement fumé et traces très amples de menthe.

Les Péruviens ont des liens privilégiés avec les Japonais, et ils se reflètent en cuisine, comme dans le cas de ce tirado, une version très particulière du ceviche – de grosses bouchées de poisson cuites dans du jus de citron – mais surtout infiniment plus subtile. Ce tirado de poisson du marché, de fines tranches façon sashimi, est accompagné de piment rocoto, celui qui sert à réveiller les morts, d’écume de lait à la coriandre et d’un petit verre de lait de tigre, cette préparation dans laquelle le poisson a mariné et à laquelle les Péruviens et les Péruviennes accordent des vertus aphrodisiaques. En fait, mes sources en la matière sont un peu machos; je vous suggère de vérifier avec vos amies péruviennes avant de m’accuser de quoi que ce soit.

Empenada de foie gras avec porc et chutney de pomme, réduction de maïs pourpre. Bon, on ne s’étendra pas là-dessus, je trouve que le foie gras se prête assez mal à certaines élucubrations culinaires – hamburger, poutine, etc. – et c’est le cas ici. Comme c’est le cas pour les autres subtilités susmentionnées, le plat est infiniment trop lourd et manque de cette grâce qui anime les autres créations de la maison. Bon, d’accord, la réduction de maïs pourpre est excellente, mais ça ne change rien à l’indigestion latente qui vous guette si vous n’avez pas vous-même un foie en titane.

Pétoncles impeccablement saisis, pleins de souvenirs d’algues, de vagues rafraîchissantes, de couchers de soleil sur la barrière de corail, flocons de patate sucrée, caviar Tobiko, mousseline de pois verts et sauce aji amarillo, ce petit piment très parfumé qui relève légèrement le tout pour vous faire surfer comme des reines et des rois du rouleau.

Caille rôtie farcie de pain de maïs et roulée dans le prosciutto, sauce barbecue au goyave et quinoa sauté. Beaucoup de textures et de goûts qui se marient si bien qu’on en vient à se demander pourquoi on n’y a pas pensé avant. Ne cherchez pas: le chef est chef et vous et moi sommes des marmitons. Enfin, moi, c’est sûr; vous, je laisse ça à votre légendaire modestie.

Contrairement à beaucoup de restaurateurs qui laissent le client sur sa faim au moment du dessert, monsieur Navarrete continue son magnifique travail de sape de votre régime avec deux petits bijoux de desserts: Surprise à l’ananas, glace à l’avocat et sauce caramel ainsi que Gâteau crème anglaise chocolat-banane, piment Mirasol, mousse de lait. Je sors pourtant de table à l’instant et juste à vous en parler, j’en ai les larmes aux yeux. Imaginez votre état lorsque vous y aurez goûté. Légers, élégants, aériens, même dans le chocolat-banane, ces desserts présentent toutes les qualités d’un excellent cuisinier qui met le même enthousiasme à les concocter.

La carte des vins affiche un choix délibéré de bonnes bouteilles du Chili, d’Argentine et d’Uruguay. Bien visé et but atteint puisque l’on y trouve de très bons choix à des prix raisonnables.

Lorsque le mot se sera passé, les 24 places assises de ce petit bijou seront âprement convoitées. Pour l’instant, c’est relativement calme. Celui qui précède la tempête. Nueva Latina, sin duda alguna.

¡Buen Provecho!

Raza
114, rue Laurier Ouest
(514) 227-8712

Ouvert du mardi au samedi de 17 h 30 à 22 h. Comptez une cinquantaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service, pour un repas nuevo latino dont vous garderez un souvenir ému.

Post-scriptum: je pars quelques jours manger des cabécous, traire les vaches et rentrer le foin. Je penserai bien à vous dans mon hamac sous les platanes de La Bastide-Murat. Et je ferai une petite pétanque supplémentaire en pensant à la rentrée et au plaisir de vous retrouver dans ces pages. Excellent été à toutes et à tous.