Un lounge à tapas? Sur Saint-Laurent? Je vous entends soupirer d’ici. Après l’invasion des sushis, nous avons droit à celle des tapas. Bonjour la guerre des mondes. On aurait tort, pourtant, de snober les tapas, qui reposent sur quelques principes inattaquables: ingrédients frais, préparations simples, concentration de saveurs, diversité.
Ces qualités, on les retrouve chez Tinto, établissement hyper-branché de la Main. Plantons le décor: une grande salle où trône le bar de rigueur, des banquettes et de la musique envahissante, tellement qu’on finit par l’oublier. Ah oui! j’oubliais. Le resto est presque tout rouge, d’où, on l’imagine, le nom, Tinto, comme dans "vino tinto".
En théorie, on y va siroter un cocktail en grignotant quelques bouchées; en pratique, on peut très bien y faire tout un repas. À ce propos, deux ou trois remarques s’imposent. Si, comme on vous le recommande, vous optez pour cinq ou six tapas pour deux, on risque de tout apporter d’un coup, le chaud comme le froid, et d’encombrer la petite table. Pendant que vous dégustez le bœuf, le poulet refroidit. On aurait intérêt à suivre l’exemple d’autres restos exploitant le même créneau où on apporte les plats un ou deux à la fois, en fonction d’un ordre savamment préétabli.
Par ailleurs, les assiettes ne sont pas garnies. Si les puristes vont se réjouir de ce choix "esthétique", d’autres, comme moi, déploreront qu’on ne marie pas viandes, poissons et fruits de mer à des légumes, des fruits ou même des légumineuses, ne serait-ce qu’en petites quantités. Cela dit, les petites assiettes proposées par Tinto ne sont pas mauvaises, bien au contraire.
Prenez, par exemple, cet humble hoummos servi dans un joli plat, accompagné de croûtons: sain, goûteux. De quoi vous faire patienter dans l’attente des choses sérieuses, comme les calmars à la valencienne: de fines rondelles du mollusque, grillées, fondantes, nappées d’huile d’olive, accompagnées de tomates en dés, de basilic et d’assez d’ail pour vous garder en santé pendant le reste de l’été. La salade d’asperges et d’artichauts est moins heureuse: les asperges sont bien croquantes (trop au goût de mon invitée), mais les artichauts, plutôt insipides. L’ensemble, dans ce cas, paraît peu inspiré.
Si vous êtes d’humeur carnivore, laissez-vous tenter par le bœuf aux épices: des tranches de filet un peu trop cuites (on a omis de nous demander la cuisson désirée, et nous avons religieusement gardé le silence, juste pour voir), mais tendres quand même, d’où ressortait (sans excès) le clou de girofle.
Et comment résister à du poulet au sirop d’érable noir? On en a la fibre québécoise tout énervée. En l’occurrence, il s’agit de pépites de poulet servies dans une sauce effectivement noire, dont le goût, en finale, penche plutôt vers la mélasse. C’est très bon, mais forcément assez sucré. Même remarque, d’ailleurs, pour l’exquise caille aux figues (notez les appellations laconiques du menu): la chair du volatile et les morceaux de figue qui l’accompagnent sont moelleux, la sauce, riche et savoureuse.
Très courte, la carte des vins affiche une légère prédilection pour l’Espagne (à tout seigneur tout honneur). Comme la bouteille la moins chère se vend 35 $, on peut se rabattre sur les verres ou les demis. À souligner, du reste, la qualité des verres (et de la vaisselle), qui fait contraste avec l’absence de nappe et de serviettes en papier.
Gardez-vous de la place pour le dessert, surtout pour ces étonnantes tomates jaunes confites, qu’accompagnent une gelée de vodka, un sorbet Guru (du nom d’une boisson énergisante!) et des chips de betterave. On exploite ici le "fruité" de la tomate, dont la chair doucereuse, détaillée en pétales, contraste avec le piquant de la gelée très alcoolisée et le sucré du sorbet. C’est fou, surprenant, délicieux. Plus convenu mais très satisfaisant, le fondant au chocolat, servi dans une tasse (au fond de laquelle on a déposé des morceaux de pêche et des framboises), conclut en beauté votre voyage immobile.
Comptez de 60 à 80 $ pour deux, en fonction de l’ampleur de votre appétit et de la cherté de vos choix, avant boissons, taxes et pourboire. On offre deux menus de tapas choisis par le chef (28 $ ou 45 $ pour deux). À midi, c’est la même carte, mais il y a fort à parier que vous mangerez moins.
Bémol: on aurait intérêt à espacer les plats; quand le soir tombe, "superclub" ou pas, la salle devient beaucoup trop sombre.
Dièse: beaux choix de tapas aux saveurs vives, précises; portions honnêtes; desserts très inspirés.
3712, boulevard Saint-Laurent
(514) 848-0007