De nos jours, plus moyen de parler d’un resto vietnamien, encore moins de la bouillante question de la soupe tonkinoise, sans soulever la controverse. Le sujet éveille les passions. Les aficionados, forts de convictions qui frôlent le fanatisme religieux, défendent bec et ongles leur estaminet de prédilection (on les connaît et je me garderai d’en dresser la liste par crainte de froisser les susceptibilités, sans compter que les queues quasi soviétiques qui s’étirent déjà à la porte risqueraient de s’allonger).
C’est donc par un biais autre que celui de la soupe que je vous recommanderai le restaurant Hué Impériale, nouvelle incarnation d’une maison naguère connue sous le nom de Cité impériale. Il y a quelque temps déjà, le patron nous avait flanqué une peur bleue en fermant son établissement pendant des mois. Le temps, nous a-t-il confié en substance, d’aller se ressourcer dans son pays d’origine. À son retour, fort heureusement, nous avons retrouvé le restaurant "tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change", comme l’écrivait négligemment Mallarmé (mais pas à propos d’un resto vietnamien). Pendant un moment, nous avions craint qu’il nous fasse le coup du resto "fermé pour rénovations" qui ne rouvre jamais ses portes. Ouf.
Modestement logé dans un sous-sol du quartier chinois, le resto, il est vrai, ne pèche pas par excès d’ambiance, et le décor ne remportera pas de prix de design. Des peintures murales à l’entrée, quelques affiches et calendriers, rien qui sorte de l’ordinaire, à l’exception peut-être de lumières qui, disons, rappellent le temps des fêtes. Bref, c’est Noël toute l’année.
Non, je vous propose plutôt d’y aller pour goûter les rouleaux printaniers, au parfum de menthe très prononcé, d’une fraîcheur exemplaire. Laissez-vous aussi tenter par l’entrée convenue par excellence, soit les rouleaux impériaux, frits dans du papier de riz, croustillants à souhait, à la farce savoureuse.
Et surtout, il faut fréquenter ce resto pour ses crêpes de riz à la vapeur farcies au porc (no 26 pour les intimes). Banal? Que non! Sous cette appellation d’une simplicité trompeuse se cache une des meilleures entrées non seulement vietnamiennes mais aussi asiatiques qu’il m’ait été donné de goûter: de petits cercles de pâte de riz refermés sur des morceaux de porc barbecue au bon goût de citronnelle, un brin de coriandre et de menthe, que vous trempez dextrement dans le nuoc cham (trempette à la sauce de poisson). Si vous en perdez de petits bouts dans la sauce, je parie d’ailleurs que vous y irez héroïquement les repêcher. Le patron, dont c’est la spécialité, jure que le plat est unique à Montréal. Vous feriez bien, soit dit en passant, de vous fier à ses conseils. Il veut vous faire plaisir, et non vous rouler. Dans tout le menu, vous chercheriez en vain un plat à plus de six dollars.
À ses heures, il se fait aussi gastro-entérologue, voire un peu sexologue. À preuve, la soupe au bœuf et au porc à la mode de Hué, autre spécialité de la maison, qui, en plus d’être particulièrement digeste, mettra de la mine dans le crayon des clients de sexe masculin (c’est lui qui le dit, en termes plus galants). Des tranches de bœuf bien cuit flottent dans un bouillon goûteux, coloré de jaune (l’ingrédient "secret" à l’origine des vertus médicinales susmentionnées), des morceaux de porc – qui servent sans doute à parfumer puisque que nous n’en avons pas tiré grand-chose de comestible – et des nouilles rappelant les spaghettis. La tonkinoise au bœuf (je sais, je sais) était, ce soir-là, particulièrement savoureuse, le bouillon bien dégraissé embaumant le clou de girofle et la badiane. Inutile de préciser que tous les plats au porc barbecue sont à conseiller.
En guise de dessert, pourquoi ne pas essayer une des boissons maison, comme celle aux fèves vertes et à la noix de coco, ancêtre, peut-être, du thé à bulles. Sinon, en été surtout, ne manquez pas la très rafraîchissante limonade glacée au citron vert.
Comptez de 20 $ à 25 $ pour deux (un peu plus, si vous vous choisissez une boisson "exotique"), avant les taxes et le pourboire. Apportez votre vin.
Bémol: l’ambiance et le décor réduits à leur plus simple expression, le menu dont la grammaire et l’orthographe laissent à désirer, en anglais et en français.
Dièse: le sympathique patron, les fameuses crêpes de riz à la vapeur fourrées au porc, un billet classe "économie" pour le centre du Viêtnam.
1053, boulevard Saint-Laurent
(514) 875-8388