Drôle de nom pour un restaurant, dites-vous? Il y a de quoi être sceptique; je l’étais, moi aussi. Alors, rassurez-vous: on ne vous y sert pas que du fromage, mais des plats très variés et d’un grand raffinement. Depuis environ deux ans, cette maison d’affinage réputée s’est lancée dans la restauration, ne ménageant rien pour faire de vos soirées de véritables envolées gastronomiques, si je puis dire – des décollages judicieusement balisés de conseils et de suggestions, puis des atterrissages tout en douceur. Atterrit-on vraiment? Peut-être, mais pas immédiatement: pour un bon bout de temps, un petit nuage s’interpose entre le sol et vos semelles. La bâtisse se dresse au bout d’un long chemin, sur un immense terrain où s’élèvera aussi, bientôt, une bergerie… Vous entrez par la boutique. Sur la gauche, à travers le mur de verre, votre vue s’offre une plongée en direction de la salle d’affinage. Des meules y patientent par dizaines. Vous faites un grand détour pour contourner le comptoir et vous débouchez dans la salle à manger éclairée d’un lustre unique et magnifique. Grand mur de briques rouge sombre, creusé d’un foyer, miroir encadré, des tableaux signés Gilles Bédard, Gil Robitail, Gilbert Breton… Un cidre léger, très léger, me tient lieu d’apéro pour trinquer avec le porto blanc (Quinta do Castelinho) de ma compagne. Comme cela arrive très rarement, nous faisons notre choix dès le premier coup d’œil jeté sur la carte. Nous tergiversons, naturellement, pour le rituel – et pour fantasmer un peu sur les pannequets de saumon fumé du Fumoir Charlevoix, bouquet d’asperges sauce maltaise au mascarpone et chicoutai, terrine au foie gras de la Ferme basque aux figues confites, gratiné de canard au Migneron et romarin, cuisse de canard confite, parmentier au Migneron et truffe du Périgord, mini-farcis de légumes charlevoisiens à la provençale… Nos convictions chancellent comme il se doit, mais elles tiennent bon. J’ai donc droit en entrée à la "Suggestion du chef" que j’avais entendu décrire à un autre client et qu’on m’a redécrite en termes de "pétoncles Dubarry poêlés et sauce aux amandes…" Soit quatre beaux pétoncles au dessus bronzé-croûté, moelleux à souhait, et rangés sur un étroit lit de mousse de chou-fleur avec, de part et d’autre, une blanche coulée de sauce aux amandes absolument divine. Et une fleur rouge qui donne de la couleur à l’ensemble. Rêve ou réalité? Les deux à la fois. Un petit délire des sens, quoi! Nous n’avions pas tout à fait décollé avec la "mise en bouche" (petite roulade de prosciutto et tranches de cantaloup). Mais là, nous pouvons détacher nos ceintures. Je dis "nous", bien que l’envolée de mon amie laisse à désirer. Sur le plan du goût, son "soufflé au Migneron et calvados" ne diffère pas beaucoup d’une bonne, mais simple omelette: le fromage et la boisson se seraient-il évaporés en cours de cuisson? Reste la délicieuse petite salade de betteraves des Jardins du centre; cela console. Au service suivant, c’est la totale réconciliation. D’abord, le fumet du plat qui vous saute aux narines et vous active les zygomatiques; puis le regard qui s’étonne alors que la fourchette explore ce cassoulet pour le moins original (gourganes), puis encore la bouche qui s’ouvre… Les yeux dans la graisse de… canard, mon amie s’éponge furtivement les lèvres de sa serviette et, entre deux gorgées de vin rouge (Château Lalande-Bellevue 2002), me confie à toute vitesse que "c’est bon, c’est bon, c’est bon…" Invitation déguisée à laquelle je souscris volontiers pour me pâmer à mon tour. Ma propre assiette n’est que suspense et surprises. Farcies au basilic et d’une extrême tendreté, les noisettes d’agneau (Ferme éboulmontaise) sont posées chacune sur une petite tapenade qui, débordant un peu, se mêle peu ou prou à une fricassée de pleurotes. De loin en loin, déroutées par l’amertume de la tapenade, les papilles attendent avec impatience le retour de la fourchette – les gros "brins" de fromage féta qui les rassureront, ou une nouvelle noisette de viande bien juteuse, ou une bouchée de ces tout petits légumes qui leur sembleront presque sucrés. La salle s’est remplie depuis notre arrivée, et ça jubile à toutes les tables. Même si nous comptons nous passer de desserts, on nous sert avec nos cafés deux brownies… que nous aurions refusés, faute de place, s’il avaient été plus gros.
La Maison d’affinage Maurice Dufour
1339, boulevard Monseigneur-De Laval, Baie-Saint-Paul
Téléphone: (418) 435-5692
Plats à la carte: 16,50 à 33,50 $
Table d’hôte: 41 $
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 111,23 $