Au moment où j’écris ces lignes, le Tour de France s’apprête à entreprendre les éreintantes étapes des Pyrénées, et c’est ce qui m’a donné l’idée de faire l’essai du resto du même nom, aperçu à la faveur de déambulations dans le Vieux-Montréal. Ce n’est jamais sans une certaine appréhension qu’on tâte de la restauration de ce quartier, surtout à la belle saison, quand les touristes, à la recherche du je-ne-sais-quoi français, anglicisent paradoxalement jusqu’au dernier des estaminets. On aurait tort tout de même de bouder le berceau de sa bonne ville, qu’il est du reste amusant d’aborder soi-même en touriste, ne serait-ce que pour se faire une idée de l’image que les visiteurs rapportent chez eux.
On a affaire à une salle plutôt jolie, loin du clinquant kitsch de certaines tables du secteur touristique. Les murs de briques ornés de miroirs, d’affiches et d’assiettes décoratives, le parquet de bois et les miroirs confèrent à l’ensemble l’air d’un bistro décontracté, impression que confirme d’ailleurs l’habillage des tables. Sinon, en cette belle soirée d’été, les conversations menées tambour battant par des touristes fatigués enterrent les ritournelles diffusées en sourdine.
On note d’emblée une longue table d’hôte, tarifée avec retenue, mais elle semble plutôt conçue à l’intention des visiteurs. Les plats régionaux que nous espérions goûter sont plutôt offerts à la carte, sous la rubrique des spécialités. Là, le menu se lit comme un véritable itinéraire touristique d’une région qui, à cheval sur la France et l’Espagne, englobe la petite principauté d’Andorre et s’étend jusqu’au Pays basque. Défilent ainsi, au gré des plats, les Landes, le Roussillon, le nord de la Catalogne, la Gascogne, autant de noms qui font rêver et saliver le gourmand. Pour un peu, on irait faire ses bagages.
Ainsi, en entrée, on propose une agréable version de la pipérade, plat emblématique du Pays basque, dont il existe bien sûr de nombreuses variantes. Ici, les poivrons en lanière, bien fondants, se font discrets et laissent à la tomate toute la place dont elle a besoin pour s’exprimer. Le tout baigne dans un appareil peut-être un peu fade, à base d’œufs brouillés. À signaler aussi le sauté de calamars (calmars, si vous préférez) des Baléares, plat d’une simplicité qui laisse pantois et incarne à lui seul le génie des cuisines régionales. Dans une cassolette en terre cuite (du genre de celles qui servent aux tapas), des rondelles de calamar et des pommes de terre rissolées, un peu de persil et de l’huile d’olive font causette. Point à la ligne.
La sympathique petite bête triomphe à nouveau dans les charmants chipirons ("nom de plume" des calamars au Pays basque) farcis. Dans ce cas-ci, un mélange de bœuf et de fruits de mer trouve refuge à l’intérieur des mollusques, qui servent en quelque sorte de boyaux à saucisse. Le tout est enrobé d’une sauce à la crème bien riche, d’où ressort encore une fois la saveur des fruits de mer (ah! on ne célébrera jamais assez le mariage sublime de la terre et de la mer), et servi avec des légumes corrects, mais sans histoire. La même garniture accompagne la cuisse de canard au chèvre, union plus surprenante mais fort agréable: une petite cuisse confite bien moelleuse sur laquelle s’abandonne une généreuse tranche de fromage, agrémentée d’une sauce lisse et légèrement sucrée (grâce à l’addition de petits fruits). La charge lipidique est imposante, certes, mais le résultat extrêmement séduisant.
La carte des vins, plutôt recherchée, penche du côté de l’Espagne. La colonne de droite, cependant, grimpe vite, ce qui nous oblige à lorgner du côté des vins servis au verre et des demi-bouteilles, par exemple un petit rosé Penedès (23 $).
Bien que repus, mon invitée et moi avons poussé le sens du devoir jusqu’à faire l’essai d’une tarte Tatin. Servie tiède et entourée, curieusement, d’une crème très liquide, elle se laisse manger, même si le caramel goûte un peu le brûlé ou l’orange amère. Disons que le résultat est ici moins convaincant. Raison insuffisante, cependant, de se priver de son Tour de France.
Comptez de 40 à 50 dollars pour deux en table d’hôte, avant les boissons, les taxes et le pourboire. Comptez plus pour goûter aux spécialités régionales offertes à la carte.
Bémol: l’habillage bistro des tables d’un établissement qui s’affiche comme restaurant et en pratique les prix.
Dièse: vitrine sur une cuisine peu représentée chez nous; des spécialités peu banales, correctement exécutées.
320, rue Saint-Paul Ouest
(514) 842-5566