Restos / Bars

Bô : Voyage langoureux sur la jonque du Bô

Même en ayant l’esprit ouvert, on se fait quand même une idée bien précise des choses. En restauration, comme ailleurs. Et parfois, les choses sont si parfaitement ce que l’on imaginait que l’on en est ému. Dans la catégorie "Restaurant chinois", que vous aimez un peu quand même, cette nouvelle adresse sur le boulevard Saint-Laurent vous comblera sans doute au-delà de vos espérances. En entrant chez Bô, on se croirait en effet à Shanghai ou dans un film chinois tant le décor est réussi. Rien de prétentieux mais beaucoup de puissance. Omniprésence de rouge soutenu, portique invitant et grands murs noirs sur lesquels sont peints des idéogrammes chinois, vieux poèmes et proverbes pour mettre en appétit.

La cuisine de Bô est, elle aussi, particulièrement invitante. Si l’esthétique joue un rôle évident dans toutes ces belles assiettes, on sent que le premier souci aura été de recréer la nature même de ces plats peu fréquentés chez nous. On a beau avoir des missions commerciales qui se déplacent en Chine comme si c’était une extension de notre cour arrière, pour la plupart d’entre nous, les cuisines de Chine – et dans la même mesure, de Thaïlande, du Japon, du Vietnam et de l’Indonésie – demeurent souvent mystérieuses. On ne parle pas ici du "Mets canadiens et chinois" du coin de la rue, mais de cuisine authentique. On dit de la cuisine sichuanaise qu’elle comprend plus de 20 saveurs complexes obtenues à partir des cinq saveurs simples: sucrée-acidulée, salée, amère, pimentée et âcre. Ça nous donne une petite marge pour nos plaisirs de fourchettes. Et de baguettes pareillement.

La chef Suzanne Liu propose à bord de son beau Bô une interprétation très fine de plats de cette région du monde. Je n’ai pas compté les saveurs complexes, mais disons qu’il y en avait une bonne douzaine d’identifiables. Les simples étaient là, toutes les cinq. Sa cuisine est exactement comme vous imaginez que la cuisine chinoise devrait être. En mieux. En plus ample. En plus doux. Et au moment où vous finissez un plat, vous réalisez que jamais vous n’auriez imaginé que des choses aussi simples puissent vous emmener en voyage aussi loin.

À midi, pour une pincée de dollars, on peut, loin des reproches parentaux, jouer dans son assiette avec ses mains. Wraps (comme dans enveloppes) asiatiques de laitue ou de crêpes sichuanaises accompagnés de deux petits ramequins de sauces (hoisin et salsa de litchi épicée), d’une chiffonnade d’herbes asiatiques, de quelques lamelles de concombre et des inévitables fèves germées. On glisse dans la chose ainsi constituée l’une des garnitures proposées: poulet, aubergines et courgettes grillées, canard, porc, crevettes ou bœuf. Le poulet général Tao grillé et les aubergines et courgettes grillées que nous avions retenus ce jour-là pour garnir les wraps en question avaient toutes les qualités exigées de plats somptueux servis à bord des croisières les plus chics descendant le Yangzi Jiang. Les portions sont généreuses, presque à l’excès, mais les assiettes semblent se vider avec application. L’honorable client occidental a un appétit hors du commun. Dans notre cas, les crevettes à la noix de coco épicée thaïlandaise, commandées avec un optimisme excessif, s’en tirèrent plutôt bien, toute dodues et appétissantes qu’elles aient été. On regrette toujours un peu de ne pas finir le plat quand il est aussi bon.

Le soir, sa chaudrée thaïlandaise est un modèle de dépaysement. Petit bouillon simple, effluves de lait de coco, quelques légumes coupés en dés (patates douces, pomme de terre, petits champignons chinois [volvaires]), quelques grains de maïs. Une belle branche de citronnelle pour décorer le bol et des parfums profonds de coriandre, de menthe et de basilic pour stimuler votre imagination. Une fois le bol vide, on se sent déjà apaisé. Même voyage langoureux avec cette won-ton façon Shanghai, bouillon aux crevettes parfumé au gingembre. De bien beaux paysages que l’on aperçoit, confortablement installé sur le pont de la jonque.

Cette entrée de crevettes était elle aussi savoureuse à souhait. Petits brocolis chinois (gai lan) froids, mangue verte thaïlandaise, mimosa d’eau (une sorte de brocoli à petites fleurs jaunes, du meilleur effet dans l’assiette, et sautillant sous la dent), le tout ravivé d’une vinaigrette japonaise à la moutarde à faire damner le moine bouddhiste le plus convaincu.

En plats principaux, suprême de volaille rôti avec tamarin indonésien sur riz au gingembre et cuit dans une feuille de lotus ou pétoncles sautées au wok avec ciboulette chinoise, sauce poivrée à l’ail sur riz vapeur permettent de prendre le large et de hisser les grandes voiles. On navigue en plein milieu du grand fleuve jaune, installé à la proue du navire, le visage balayé par les embruns. On peut sauter le dessert qui, ici, n’est pas aussi enlevant que tout le reste. On n’en veut à personne tant le reste du voyage est exceptionnel.


5163, boulevard Saint-Laurent (entre Laurier et Fairmount)
(514) 272-6886
Ouvert du lundi au vendredi pour le déjeuner et du lundi au samedi pour le souper et sept jours sur sept pour le petit-déjeuner. À midi, une belle promenade à bord de la jonque de madame Liu vous coûtera une petite douzaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service. Le soir, table d’hôte (soupe ou entrée, plat principal, riz et dessert) vont de 23 à 27 $. "Rien n’est jamais sans conséquence. En conséquence, rien n’est jamais gratuit." Confucius, 551 – 479 av. J.-C.

Erratum : Veuillez noter qu’une erreur s’est glissée dans les vignettes de page couverture du numéro du 22 septembre. La photo illustrant le restaurant Kalalu n’était pas la bonne. Toutes nos excuses.