Je ne me rappelle plus quel farceur avait, l’an dernier, annoncé la fermeture de ce restaurant. Alors, qu’on se le dise: La Closerie se porte à merveille. Nous avons choisi ce soir le "côté Grande Table", l’ambiance reposante d’un décor confortable et sans recherche: ici des murs de vieilles pierres, là des murs de brique rouge gardant le souvenir d’anciens foyers, là encore une modeste collection d’assiettes et de couvercles de soupières. Un bar imposant nous fait face, de l’autre côté de la salle à manger aux tables judicieusement espacées. Avant qui que ce soit, des odeurs nous avaient souhaité la bienvenue – furtives, comme pour nous donner envie de leur courir après. Ce sont encore elles que nous cherchons à décoder en parcourant les différents menus de la carte, nous attardant sur le grenadin de veau de Charlevoix, le confit de canard de Saint-Apollinaire, la pintade, le foie gras poêlé, le veau de Charlevoix sauce verte, l’agneau, le brick de queue de bœuf au vin rouge, les ris de veau aux échalotes, la minute de saumon à l’huile d’olive… "Arrête de lire tout haut", murmure tout bas mon amie. Elle ajoute que cela lui donne faim! C’est bien le lieu pour ça, non? Nous poursuivons donc chacun pour soi notre lecture, lorgnant de temps à autre les clients qui, un peu plus loin, sur la gauche, parlent peu et mangent… prou. La musique joue en sourdine. Aznavour vient de céder la place à Lama quand nous sommes enfin prêts à commander. Pour boire, je m’en tiendrai à l’eau plate. La carte des boissons en proposait pourtant plusieurs, importées ou non, en plus, bien sûr, des vins, champagnes et mousseux. Mon amie jette son dévolu sur un rouge (Château Arnaud, Minervois 2004). Le temps qu’arrive son verre, nous avons expédié nos "mises en bouche" ad patres: pâté de foie de volaille (onctueux et délicat), croûton doré, confit d’oignons et huile de tomates séchées. Je me sens tout léger après avoir mangé cela. Paradoxal, non? Arrive alors mon entrée, soit une caille poêlée aux deux raisins: la sauce est au porto, si je me souviens bien, et confinant au divin – d’une texture fine et sans excès de sucre. Les raisins en sont gonflés. D’autres raisins emplissent, avec des dés de pommes, une petite aumônière de pâte filo accompagnant les quartiers de caille. Heureux qui comme moi commence un tel repas… Cela ne me suffit pas, évidemment. Il me faut aussi goûter au croustillant (façon brick) de saumon fumé et fromage de chèvre que mon amie baptise plus que de raison à grandes lampées de Minervois. N’étant pas sûr dès la première bouchée, j’y goûte encore. Et encore. Elle met le holà juste avant la quatrième. Pour la suite, elle estime que le même vin fera l’affaire et en demande donc encore. Cette suite? Un tonneau de pintade servi avec une duxelle de bacon fumé et un paillasson de pommes de terre. Le tonneau, farci d’herbes, vous jute tous ses sucs dans la bouche, non pas d’un coup, mais par tout petits jets de saveurs. De brefs petits frissons vous chatouillent partout où cela fait du bien. Mon amie a donc atteint sa vitesse de croisière, sourire aux lèvres et tous phares allumés et ne néglige pas, elle, ce qui est végétal: carottes, asperges, endives, petits oignons confits. De son côté, mon assiette en impose aussi avec son petit rôti d’agneau du Bas-du-Fleuve détaillé en médaillons chapeautés d’une fine croûte citronnée aux herbes. J’ai aussi droit à des champignons ("pied-bleu"?), un tronc de courgette farcie d’une courte brunoise de légumes, un petit dôme d’orge, des asperges… Le pied, quoi! Le grand! Parce que j’ai insisté, mon amie clôture tout cela d’un gratin de fraises au citron (qu’elle ne trouve pas comme moi trop citronné) entouré de fraises tranchées et mouillé d’une suave sauce caramel à l’orange.
Restaurant La Closerie
1210, place George-V, Québec
Tél.: (418) 523-4465
Menu du jour à partir de 12,75 $
Table d’hôte à partir de 32,75 $
Menu dégustation: 65,75 $ (avec vins: 98,75 $)
Souper pour deux (incluant boissons et taxes): 84,83 $
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LA SÉLECTION CHARTIER
À tout seigneur tout honneur: La Sélection Chartier a été lancée à L’Utopie, au cours d’un repas digne de cette 10e édition.
Sachant que François Chartier y condense l’essentiel de son érudition et de ses expériences (une moyenne de 3000 vins, bières, eaux-de-vie, etc. dégustés chaque année), on aborde La Sélection Chartier avec une certaine fébrilité. La première approche est évidemment visuelle et tactile: regarder, palper, feuilleter, papillonner, appréciant le format allongé du livre, sa couverture rigide, sa mise en pages aérée, l’élégance de la typographie et de l’illustration. On s’accorde ensuite le plaisir d’aller plus loin, de s’attarder aux nouveautés: "Coups de cœur des dix ans" (Sangre de Toro Aniversario, 2003; Château Lagrezette, 2003, etc.); les bonnes ou mauvaises "Nouvelles du vin 2006" (dont le nivellement par le bas, la "cocalisation" de certains vins) et les "Vingt ans autour du monde" (percée remarquable de l’Espagne, difficultés du côté français, méconnaissance des progrès accomplis par les Grecs…). Au terme des huit sections consacrées aux rouges, blancs, rosés, etc., on arrive aux index répertoriant les produits par noms, par appellations et, pour finir, l’"Index des harmonies vins et mets" qui renvoie aux menus proposés (recettes tirées pour la plupart de À table avec François, même éditeur, 2005). L’auteur ne s’écarte à aucun moment des principaux objectifs qui caractérisent son guide: renseigner au mieux le consommateur, suggérer les meilleurs accords (choix de mets pour un même vin) et permettre l’estimation instantanée du rapport qualité/prix.
Presque indissociable de La Sélection Chartier 2006, le menu "Architecture" servi pour la circonstance résulte d’une collaboration entre le chef Stéphane Modat et l’architecte Pierre Bouvier. Rien à voir avec les montages tarabiscotés: c’est le profilé qui prime dans l’assiette, la délicatesse, la légèreté. Cela se traduit en bouche par une voluptueuse complicité de saveurs, différemment nuancée par l’un ou l’autre des vins choisis pour accentuer un caractère particulier.
François Chartier, La Sélection Chartier 2006, Montréal, Les Éditions La Presse, 2005, 416 p.