Quel plaisir de redécouvrir une adresse que l’on a déjà aimée et qui s’est encore améliorée! C’est le cas de cette Montée de lait dont je vous disais le plus grand bien au début de l’année dernière. Depuis, un nouveau chef est arrivé et la montée monte encore plus haut. Midi et soir, y compris le dimanche.
L’exiguïté des lieux semblait vouer l’endroit à présenter une belle cuisine quoique toujours un peu contenue. Dans un dé à coudre, même le meilleur caviar laisse un peu sur sa faim. Miracle de la rénovation, sur la même superficie, on a réussi à augmenter de 50 % la capacité d’accueil de cette maison et à agrandir la cuisine. J’en suis encore baba. Très belle salle, petite mais lumineuse; cuisine vitrée où l’on voit évoluer la brigade. Un beau spectacle. Pour qui a l’œil, ces cuisines ouvertes sont un pur délice. Ou un vrai supplice, selon le cas. Ici, c’est du plaisir exclusivement, du grand plaisir.
Samedi soir bondé, 36 clients affamés. Dans le meilleur des cas, ils prendront la formule à 4 choix (144 plats à sortir), dans le pire, celle à 7 services (252 choix); le sadique en moi jubile. Nous sommes six à table, dont deux couples d’amis parisiens en visite qui ont choisi la Montée de lait dans la liste transmise par courriel quelques jours avant. Ma description de l’endroit était "belle petite cuisine, très belle carte des vins, ambiance relax et sympathique". Au sortir, je me suis fait incendier sur mon manque d’enthousiasme: "Chez nous, ça se classerait dans le très haut du palmarès, une cuisine inventive, léchée, savoureuse et bien exécutée. Et la carte des vins n’est pas belle, elle est magnifique." Je vous transmets les commentaires de ces gens-là; le samedi précédent, ils soupaient chez Robuchon et l’avant-veille chez Gagnaire; ils doivent savoir de quoi ils parlent.
Et je vous fais part de mon enthousiasme personnel, que j’espère communicatif. Ce soir-là, à notre table, 24 plats donc et pas une seule fausse note. Des plats préparés avec beaucoup d’ingéniosité et de talent, ce qui, au même titre que la fraîcheur des produits, permet aux assiettes de s’élever.
Ce pétoncle poêlé, par exemple, était un parfait modèle d’intensité ramassée. L’assiette arrive et paf! On se retrouve au bord de l’océan, le visage caressé par les embruns, la peau chauffée par les rayons d’un soleil du mois d’août. Petit écrasé tiède de boudin à la crème et jus d’oignon. J’ai dû jouer de la fourchette pour en voler une bouchée dans l’assiette de ma voisine. Quelle bouchée! Le festival commençait.
Il s’est poursuivi avec quelques champignons poêlés, servis avec un lait de maïs mousseux et huile de truffe, subtile touche de beurre et bouillon de légumes d’une délicatesse extrême. Le tout est à vous envoyer aux champignons sur-le-champ. Outre l’intérêt artistique de la chose, cette petite entrée, somme toute anodine, permet de confirmer que, techniquement, les jeunes gens que l’on voit s’agiter avec sérieux derrière le mur de verre possèdent leurs permis de cuisiner catégories A (1), B (2) et C (3).
Le Lapin trois fois – 1. cuisse braisée roulée au jambon blanc; 2. longe rissolée; 3. confit en raviole – bondit sur un lit de purée de racines (panais, semble-t-il) au yaourt. Interrogée plus tard à ce sujet, la cuisine confirmera: panais biologiques de monsieur Bertrand. Présentation très élégante et permettant de passer par une palette assez large d’émotions, toutes plus belles les unes que les autres. Comme l’ensemble de la cuisine de cette belle petite maison par ailleurs. On ne remerciera jamais assez les deux chefs – Martin Juneau, grand chef et Ségué Lepage, grand chef bis – d’aimer autant faire leur métier et de nous en faire profiter. Je les ai tout de même un peu remerciés. Ça fait toujours plaisir. Plus que d’étriller en tout cas.
Au dessert arrive un nougat glacé aux noix de pin, d’une émouvante onctuosité. Quelques traits de citron confit et une désopilante infusion de pollen ajoutent au plaisir de la visite. Sur la scène gastronomique, l’infusion de pollen est très en vue en ce moment. Plus terre-à-terre, je vous dirai que la chose est intrigante, fort savoureuse et tout à fait à propos dans ce tableau.
Le service est assuré avec application et, dans le cas de Hugo, le sautillant propriétaire (comme le lapin, mais sans les oreilles, enfin, c’est une métaphore), avec un ressort digne des garennes les plus accueillantes. De plus, son magnifique travail autour du vin vous donnera ce frisson d’émotion que l’acheteur de billets de loterie éprouve sans doute en découvrant que les chiffres sur son billet sont les mêmes que ceux qui apparaissent sur l’écran de son téléviseur.
(1)Cuisine de catégorie A: a tout ce qu’il faut pour que vous vouliez aller régulièrement dans cet établissement, au risque de développer des envies irrépressibles et un penchant pour le "Steak de canard de Marieville sur le grill, gratons BBQ et mayo moutardée" (à en pleurer) ou pour le "Pot de crème choco-café, tuile craquante et mousse de lait" (vous ne pourrez plus retenir vos larmes de bonheur).
(2)Cuisine de catégorie B: belle cuisine pouvant combler de félicité les appétits les plus exigeants et contribuer au bonheur collectif sans qu’on soit obligé d’aller chez El Bulli se vautrer dans des plats aussi hasardeux que des "Pétales de rose en tempura".
(3)Cuisine de catégorie C: cuisine ébouriffante, à conserver secrètement dans le carnet des petites adresses chéries et qu’on ne dévoile à personne. Sauf à vous, dans mon cas, parce que je vous sais délicats et sensibles à la beauté d’un "Poisson aléatoire" (sic) ou d’un "Chèvre frais mais chaud" (re-sic).
La Montée de lait
371, rue Villeneuve Est
(514) 289-9921
Ouvert du mardi au dimanche dès 17h et à midi les mercredi, jeudi et vendredi. En soirée, comptez 40 $ pour quatre choix et 60 $ pour sept services, avant boissons, taxes et service. À midi, 18 $ pour deux plats et 20 $ pour trois (entrée, plat principal et dessert). À ce prix-là, je vous en prie, gardez la chose pour vous ou alors les foules vont s’y presser les midis de semaine et les dimanches soirs alors que c’est plutôt calme et reposant ces temps-ci. Merci de votre habituelle discrétion.