En sortant de là, j’avais en tête cette comptine: "À la pêche aux moules, moules, moules, je n’veux plus y aller maman…". Remarquez, au moins je chantonnais; ce n’est donc pas si catastrophique que ça. Parfois, je sors d’un restaurant en pleurant tellement c’est triste et laid. J’évite de vous en parler trop souvent, je vous sais sensibles à la beauté des choses.
Cette maison fait partie du paysage outremontais depuis une vingtaine d’années. En été, la terrasse coin Bernard et Champagneur est particulièrement achalandée. Après deux visites ici, je me demande bien pourquoi. Une chose est claire toutefois, ce n’est certainement pas pour la cuisine. Affligeante.
Vous dire que La Moulerie prépare une mauvaise cuisine serait exagéré. Une bonne, ce serait un gros mensonge. Ennuyeuse semble assez approprié. Midi ou soir, la carte et le menu proposent un voyage gris et plat. Et distillent un ennui mortel. Et cet ennui n’est pas seulement lié aux moules, supposées être la spécialité de la maison, les autres prestations ne brillant ni par leur prouesse technique ni par leur originalité.
Petit midi de semaine, l’accueil est fait avec courtoisie. À peine le verre d’eau déposé sur la table, il est remporté par la personne, qui a vu qu’il était sale. Louable vigilance. Quelques jours plus tard, en soirée, sur six verres sur notre table, quatre étaient mal lavés, portaient des traces de graisse, de doigt ou autres. La vigilance a ses limites. La limite de temps imposée, 45 minutes, sera respectée. Autre consolation, si l’on mange mal ici, au moins peut-on y manger vite.
Une petite crème de poireaux très acceptable, comme celle aux carottes prise en soirée. C’est toujours ça de pris. Ce sera à peu près tout ce qu’il y aura dans la colonne des points positifs en cuisine pour cette adresse. Sur deux repas, il faut quand même le faire. Le spécial, ce jour-là, annonçait "Moules au gingembre". Une quarantaine de moules plus tard, je cherchais vainement le gingembre. Le goût très particulier de ce beau bulbe n’a pourtant pas pu être couvert par les frites, fades et tièdes, servies en accompagnement. Ni par le ramequin de mayonnaise commerciale, tout aussi insignifiante.
Service gauche et café très dilué concluent ce passage sur l’heure du midi. La perspective de revenir souper ici me remplit de tristesse. Tout autant que celle de devoir y amener ma famille. Et de vous en parler après.
Plus tard dans la semaine, les moules à la thaïlandaise (gingembre, citronnelle, oignons et lait de coco) déclenchent les mêmes bâillements autour de la table. Et les bouchées de saumon fumé qui accompagnent les moules à la gaspésienne ne font rien pour rattraper la soirée. Les deux plats se disputent le premier prix de l’insipidité. Et arrivent ex æquo.
Que vous dire de ce contre-filet à la grille? Que la cuisson "bleue" demandée s’était perdue en route entre la table et la cuisine ou quelque part ailleurs et qu’il arriva "à point". Qu’il était nettement plus "contre" que "filet". Que la grille en question était peut-être passée par là, mais longtemps avant que l’assiette arrive devant moi, car la chose était tiède et inodore. Que les légumes d’accompagnement, un demi bok choï et des carottes ramollies, étaient glauques.
Que vous dire de ce mesclun au chèvre chaud, noyé dans une vinaigrette aillée à outrance? Ou de ce steak hambourgeois, exagérément salé et nappé d’une sauce aigrelette? Ou de cette crème caramel, miroir parfait de la lassitude qui commençait à s’emparer de moi et de mes convives?
Les garçons s’activent suffisamment pour masquer leurs erreurs, plat oublié ou autres. En attendant l’addition – pas si légère que ça, 19,95 $ pour 40 moules, ça fait cher du mollusque, surtout quand il est piteusement apprêté -, on a le loisir de constater que le décor des premiers jours a vieilli. Je veux dire mal vieilli. Il y a pourtant du monde et l’ambiance est plutôt détendue. Sauf à ma table où je fulmine en pensant que je perds mon temps. Ma seule consolation étant, en pareilles circonstances, de savoir que je pourrai peut-être vous éviter de perdre le vôtre.
La Moulerie
1249, avenue Bernard Ouest
(514) 273-8132
Ouvert midi et soir, du lundi au dimanche. À midi, une vingtaine de dollars par personne, avant boissons, taxes et service. En soirée, doublez si vous élaborez un peu. Triplez si vous tombez dans la totale, entrée, plat principal et dessert. Ce qui reste votre choix; moi, j’étais obligé. Et je vous aurai prévenus.