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Le Bistingo : L'art de faire bien avec peu

Cet endroit semble exactement sorti d’un vieux film français. Un bon, avec Jean Gabin ou Romy Schneider. Il règne en effet une vraie ambiance hexagonale dans cette petite salle, très joliment aménagée pour respecter cet élément intangible du plaisir des clients: l’atmosphère. La salle est toute petite, mais on n’y étouffe pas et on s’y sent bien dès la porte poussée. Accueil sympathique et service attentionné renforcent le tout. Typiquement le genre d’endroit où l’on aime se retrouver pour un souper en tête-à-tête tranquille et où l’on sait que les moments passés à table apaiseront.

La carte du Bistingo est très courte et reflète non seulement les goûts des propriétaires, mais aussi les préférences des habitués. En deux volets, elle propose quelques éléments stables sur le menu, "Nos spécialités", et réserve la part la plus belle à la table d’hôte, "Aujourd’hui, le chef vous propose", qui change tous les deux jours. On s’assure ainsi de ne pas lasser les clients réguliers et de toujours déposer sur la table les produits les plus frais.

Dans le premier volet, sept propositions: deux entrées, deux viandes, deux salades et une assiette de fromages. Si c’est court, ce n’en est pas moins intéressant. Trois fromages suffisent amplement lorsqu’ils sont bien choisis et présentés avec goût.

En entrée, blinis au saumon fumé. Clair, net, sans chichis. Blini dodu et parfumé, saumon à la chair affriolante et belle petite crème acidulée relevée de quelques brindilles d’aneth.

Les amateurs d’abats savent combien il est difficile de trouver des cuisines apprêtant avec doigté certains de ces plats. À Montréal, il y a tout au plus quatre ou cinq restaurants proposant une cervelle alléchante. Le Bistingo fait partie du lot; belle cervelle de veau délicatement poêlée et beurre légèrement citronné. Le goût si particulier de noisette ramène instantanément à l’esprit des souvenirs d’enfance heureuse à une époque où ce plat était très politiquement correct.

Dans la section "Aujourd’hui, le chef vous propose", une dizaine de propositions, toutes honnêtes et alléchantes. Comme cette terrine de légumes – un trio carotte, rutabaga et courgette, accompagné d’une louchette de coulis de céleri au curry – qui avait tout pour inspirer l’amour et mener naturellement le client vers un très beau pavé de flétan grillé souligné d’un doigt de pesto de rapini et noix de Grenoble. Irréprochables.

Les plats principaux sont accompagnés de petits légumes qui, à défaut de briller par leur originalité, ont au moins l’avantage d’être préparés avec soin et de parfaitement jouer leur rôle d’accompagnement. Une petite assiette de frites passe le test avec brio et remontera dans le cœur de l’amateur éclairé la cote de la pomme de terre de l’île d’Orléans, souvent décriée et délaissée au profit de tubercules plus canadiens.

Le dessert du jour s’appelait ce jour-là "Agrumes en gelée de fruits de la passion, renversé à l’ananas et écorces d’oranges confites". Le renversé était loin d’être renversant, mais les agrumes et écorces disparurent en un éclair, un comble pour un dessert.

Le pain d’épice poêlé et sa poire pochée, glace vanillée, sur coulis de caramel et crème anglaise, décorée de badiane, brillent de tous leurs éléments. Et l’on apprécie les qualités presque domestiques de cette petite assiette très appétissante. Un dessert simple et savoureux justement en raison de cela.

La maison traite les vins avec retenue. Peu de choix, mais de gentils cépages facturés avec modération, ce qui rend toujours les établissements plus sympathiques. On ne viendra pas ici pour le Gevrey-Chambertin ou le Vosne-Romanée, mais ce n’est pas la vocation première de ce genre de petit établissement.

Ouverte depuis 1997, cette petite maison a su conserver le niveau de qualité de cuisine qui lui assure l’attachement de tant de clients du quartier. Et les diverses améliorations apportées au décor au fil des ans ont contribué à rendre le cadre encore plus agréable. Une preuve supplémentaire que l’on peut faire très bien avec très peu.

Le Bistingo
1199, avenue Van Horne
(514) 270-6162

Ouvert à midi du lundi au vendredi et en soirée du lundi au samedi. En soirée, comptez une quarantaine de dollars par personne, avant boissons, taxes et service. À midi, une vingtaine. Aux beaux jours, la petite terrasse double les charmes de l’endroit. Ces jours-ci, une trentaine de places en salle; premiers arrivés, premiers servis.