Restos / Bars

Ginger : L'insoutenable légèreté du gingembre

Cette chronique sur Ginger est mon cadeau de retour au travail. Les Fêtes sont derrière vous; je suppose que vous avez péché, plusieurs fois, et que tous ces excès – je veux dire de table, bien entendu – vous ont laissés un peu las. Et que vous aimeriez vous reposer. Et surtout ne pas me lire m’extasier devant un foie gras poêlé ou un steak de canard, porto et cassis. Je gardais cette adresse en réserve depuis plusieurs semaines justement pour cette occasion. Un besoin de calme et de sérénité. En cuisine et à table.

Il y a quelques rares restaurants où, dès le pas de porte franchi, on se sent bien. Quelque chose dans l’air, dans le décor sans doute, mais aussi dans d’autres détails autrement plus subtils que la couleur des murs ou le moelleux des fauteuils. Trois mille cinq cents ans avant Jésus-Christ, les Chinois parlaient déjà à ce propos de Feng Shui.

Le bien-être ressenti ici dépend, bien entendu, du moment où vous vous posez sur la banquette. Ainsi, une soirée de fin de semaine, alors que toute notre belle jeunesse un peu branchouille avec différence vient s’épivarder ici, n’est pas nécessairement le meilleur moment pour élever votre esprit. En plus de souper, ça groove, ça chille, ça frime et ça cruise. Aux antipodes, donc, du subtil exercice de méditation et de détente culinaires que je vous suggère.

Hormis ces soirées un peu énervées, la sérénité ambiante est communicative. Je vous propose une remise en état de votre ch’i en cinq petits plats, un pour chaque point cardinal, plus un pour le nombril, centre de l’univers, comme chacun le sait.

Départ en douceur avec une soupe miso traditionnelle, servie dans un petit bol tout simple. Bouillon clair et parfumé, nuage de miso flottant lentement et, sous la caresse des baguettes, quelques cubes de tofu dodus, deux ou trois tranches juteuses de champignons shitakes et le glissement des algues wakame pour vous poser sur la mer calme.

Tataki de thon: thon rouge saisi, au goût de viande rouge, texture d’une tendreté quasi insoutenable, julienne de daikon, carottes. Et, pour le seul plaisir de l’œil, quelques feuilles de basilic sculptées au ciseau. Dans le fond de l’assiette, comme un drap soyeux sur lequel le tout aurait été couché, une sauce à base de soya et de gingembre. Volupté.

Étape trois: Rouleau Jay. Délicatement enroulés dans une fine feuille de farine de riz et une autre de saumon fumé, un peu de goberge (quelques jours avant, on avait dit "crabe" à ma fille Élise qui, au restaurant, aime tant faire semblant de ne pas comprendre et note dans son petit carnet les moindres fautes qu’elle apprend à juger avec retenue), de fines lamelles de concombre, un dé de caviar de poisson volant (tobiko) et quelques éclats d’avocat, état dans lequel nous préférons l’avocat, éclatant, surtout nos amis membres du Barreau du Québec. Ce qui rend ce "Jay Roll" si pétillant est sans doute son cœur de pâte de tempura très croustillante, aérienne et d’une délicate sonorité sous la dent. La petite coupole de mayonnaise épicée qui accompagne le plat constitue, selon moi, le maillon faible de la soirée. Net manque de tonus et d’ampleur.

Reprise de l’élévation avec un transcendant tempura de homard. Petite robe noire (ah! cette petite robe noire…) d’algue nori, gainée autour d’une base de riz nishiki sur laquelle repose un explosif mélange de homard coupé très fin, de tobiko, de pâte à tempura et d’une autre mayonnaise très légèrement épicée. Comme il y a deux bouchées, on peut engloutir goulûment la première pour satisfaire son côté yin et, pour que le yang ne se sente pas floué, déshabiller la seconde pour en déguster langoureusement chaque partie, en prenant soin de laisser la petite robe noire bien pliée sur le bord de l’assiette. Sauce Kikkoman légère (30 % moins de sel, merci de penser à nous), gingembre et wasabi sont là pour la parade.

Une fois remis de toutes ces émotions, vous pouvez vous achever avec un dessert maki à la limite de la légalité. Cuits en papier de riz et frits en tempura, fraise, banane, mangue et chocolat se disputent l’honneur d’être les premiers à vous éclater les papilles. Pour être bien certain de ne pas vous manquer, le maki arrive nappé de miel et sésame et est servi chaud. Décadent "light". Après ça, vous essaierez de flotter en fixant la jolie statuette dans la niche du mur du fond. Insoutenable légèreté du gingembre, disions-nous.

Ginger
16, avenue des Pins Est
450 844-2121

Ouvert tous les soirs dès 17 h. Dimanche au mercredi, calme et zen; jeudi, vendredi et samedi très animés, ambiance très pré-clubbing, comme dit mon rédacteur en chef qui est jeune, fort, beau, intelligent et vachement pré-clubbing lui-même. Puisez dans le fond de votre porte-monnaie une trentaine de dollars par personne avant boissons, taxes et service.