Les fins de mois sont dures, on le sait; quant aux fins d’année, n’en parlons même pas… surtout en ce moment. J’ai donc pensé vous proposer un petit établissement sans prétention ayant l’avantage d’offrir une cuisine à la fois familière (pour qui fréquente les restos indiens) et différente.
Tabaq, établi sur un segment de la rue Jean-Talon aux accents plutôt industriels, mais pas loin du marché public du même nom, nous propose, outre quelques classiques de la cuisine indienne telle qu’on la pratique ici (genre "poulet au beurre"), des plats pakistanais beaucoup moins connus. Le cadre, disons-le d’emblée, ne paie pas de mine. D’un côté, un casse-croûte qui, dans une incarnation antérieure, servait peut-être des hot-dogs et de la poutine plutôt que des pieds de chèvre; de l’autre, une salle à manger plus "formelle", dépouillée à l’extrême. On vient là pour se sustenter, pas pour passer un moment de grâce.
La contrepartie de l’exotisme, évidemment, c’est l’incertitude, pour ne pas dire le désarroi. Face à un menu déroutant, d’où ressortent (dans un français approximatif, je vous le concède) les "boulettes de foie, rein (rognon) et agneau", on peut: a) opter pour la méthode empirique, c’est-à-dire choisir au pif, quitte à être rappelé à l’ordre par le serveur parce que: (i) le plat risque de vous déplaire ou (ii) il a été retiré du menu; b) suivre les conseils dudit serveur, ce qui n’est pas une mauvaise politique; c) confier votre sort à un habitué qui, gentiment, vous fait ses recommandations (si, comme ce fut le cas pour nous, il s’en trouve un à la table voisine).
En entrée, nous avons donc choisi des shami kebabs, deux boulettes de viande un peu sèche, en raison de la texture granuleuse de la chair, réduite en pâte, très fortement parfumées à la cardamome. Le chat (prononcez "tchatte" pour éviter de traumatiser Minou) de samosa est une manière de salade sans histoire mais rafraîchissante, dans laquelle un beignet farci est émietté dans du yaourt. Le tout s’accompagne de laitue. Nous avons aussi goûté les shish kebabs de poulet, de la viande broyée, dirait-on, avant d’être embrochée et cuite au four. Sans casser la baraque, les résultats sont agréables.
Par la suite, nous avons choisi l’agneau karahi, une sorte de cari ou de ragoût à la sauce bien épaisse et savoureuse. Personnellement, je n’ai rien contre les os (les animaux en ont, contrairement à ce qu’on imagine parfois, en cette ère où filets de ceci et de cela et poitrines désossées règnent en maîtres), mais, dans ce cas particulier, il y avait peut-être un peu trop de "tiraille" par rapport à la viande.
Nous avons aussi choisi le poisson entier à la mode de Lahore, à la suggestion du client susmentionné. À première vue, la bête semblait peu prometteuse. Mais sous la peau croûtée par suite d’une cuisson à grande chaleur se cachait une chair moelleuse et délicieuse, bien imprégnée du goût piquant de la marinade. Il faut par ailleurs faire preuve de patience et d’un certain doigté pour dégager toutes les arêtes. C’est fou ce qu’il y a en a, nous disons-nous, habitués que nous sommes aux… filets. Autant le riz, parfumé à la cardamome noire, que le pain nan, luisant de ghee, sont à la hauteur.
Le menu propose un nombre respectable de plats végétariens. Nous avons goûté le "mash daal avec beurre de Tarka", dont le goût était beaucoup plus harmonieux que le nom. Il s’agit d’un bon ragoût de lentilles très épais, où chacun des grains conservait sa forme, ce qui nous change des habituelles purées à la consistance plutôt aqueuse.
Comme boisson, optez pour le délicieux lassi à la mangue, offert en version très dense, et tant pis pour certains puristes qui poussent les hauts cris à l’idée qu’on accompagne son repas de ce qui, il est vrai, pourrait passer pour un dessert. À ce propos, la maison offre aussi un pudding au riz d’une grande simplicité, qu’on saupoudre de pistaches. À prendre seulement si vos résolutions du Nouvel An vous le permettent.
Comptez de 30 à 40 $ pour deux pour un repas copieux, avant les taxes, les boissons et le service.
Bémol: ambiance réduite à sa plus simple expression et décor à peu près inexistant.
Dièse: une cuisine robuste, différente de celle des sempiternels restos indiens aux menus presque interchangeables.
149, rue Jean-Talon Ouest
514 277-9339