Inspiré de l’expression "aller en chercher une (bonne bouteille) derrière les fagots", ce nom de restaurant laissait croire à la présence d’un bon chef ici. Erreur, il n’y a pas ici un bon chef, mais un TRÈS BON CHEF. Et une bonne brigade autour de lui, et un excellent personnel en salle, et un sommelier digne de mention.
Si vous êtes pressés, vous pouvez arrêter votre lecture ici et appeler directement au numéro ci-dessous pour réserver: je vais dire du bien de tout… ou presque, la perfection n’étant pas de ce monde.
Le très bon chef s’appelle Gilles Herzog. Il est épaulé par un très bon second, Dominique Aubin. Les gens talentueux qui s’entourent de gens talentueux, montrent qu’en plus de leur talent, il ont aussi de l’intelligence. Et du cœur pour ces deux-là qui en mettent dans leurs assiettes.
Cette générosité profite également aux chroniqueurs gastronomiques. Que dire de plus en effet d’une entrée comme le "Maquereau espagnol juste saisi, fine mousseline de haricots coco, vinaigrette de chorizo, raisin noir et piquillos, mousse légère d’un lait d’amande" qui ne le soit déjà dans cette description? Que le poisson est tendre et parfumé? Que le choix de ce petit piment piquillo pour remonter la vinaigrette est tout à fait opportun? Que la fine mousseline de haricot et la mousse légère de lait d’amandes accompagnaient parfaitement le poisson (et le pétoncle, pour la personne allergique au maquereau) et faisaient de ce plat un moment d’émotion? Sans doute, mais irons-nous jusque-là dans notre délire gastronomico-littéraire?
Amuse-bouches et prédesserts sont présentés à chaque table, comme pour manifester concrètement l’intérêt que les gens en cuisine portent à tous leurs distingués clients. Qui semblent apprécier au plus haut point, distingués peut-être, mais également connaisseurs.
En entrée, un impeccable foie gras de canard cuit au torchon "poivrésel", intelligemment accompagné d’un petit chutney de fruits frais et moelleux, et d’une érotisante réduction de Banyuls. On est bien partis. Et le festival continue avec ces courges butternut en fin velouté, d’autres en écrasée à la saucisse de Morteau, marrons, huile de truffe. Émouvant de soyeux et de douceur, étourdissant de puissance et de profondeur.
Ris de veau de lait piqué de citronnelle, ananas, pommes, petits oignons et raisins blonds, jus soubise en émulsion au lait de coco. Équilibre ici encore, toujours cet équilibre, fruit de beaucoup de réflexion et de travail. Un peu comme le funambule au cirque. Son équilibre a l’air tellement fluide qu’on en oublie les milliers d’heures de pratique, de reprises et de labeur pour arriver à cette magie.
Un dessert divin: Comme un Vacherin… Parfait glacé caramel, crème battue et meringues, sorbet poire, d’autres en marmelade, dans lequel tout est: force et douceur, été et froidures, Roméo et Juliette. Un autre dessert moins aérien, mais sans doute était-ce dû aux extases multiples précédentes, l’estomac a ses raisons que la raison ne connaît pas: Pommes cuites façon Tatin, riz au lait allégé d’une crème de marron vanillée. Beaucoup trop riz au lait et pas assez Tatin.
Un mot enfin sur la carte des vins. Ou plusieurs mots, pas des petits mots doux, mais un ou deux gros mots, des mots dits. Trop grande, trop chère, trop m’as-tu-vu, trop pleine de choses inconsidérées. De très bons vins à moins de 60 $, ça existe. Pourquoi tant de bouteilles au-dessus de 100 $ (ou de 200 $) et si peu de choix autour de 50 $? Pourquoi la cuisine réussit-elle à sortir des repas impeccables autour d’une cinquantaine de dollars et la carte de vins ne suit-elle pas? Non seulement ne suit-elle pas, mais son manque de générosité nuit aux mets servis. Un excellent sommelier et du personnel au courant de ce qu’il y a en cave ne font pas tout. Tchin-tchin!
Le Guide Restos Voir 2006 dit de ce Derrière les fagots qu’il fait partie du "trio d’adresses exceptionnelles qu’offre Laval aux gastronomes". Si c’est dans le Guide Restos Voir, ça doit être vrai. Ceci dit, tous mes amis lavallois qui passent leur temps à dire du mal de Montréal et à m’accuser de tous les maux parce que je ne partage pas leur amour inconditionnel de la vie de banlieue, feraient acte de charité en nous suggérant d’autres excellentes adresses dans leur belle ville. Ça me fera plaisir de visiter et de répandre la bonne nouvelle. Trois grands restaurants, ça me paraît peu pour une si belle municipalité.
Derrière les fagots
166, boulevard Sainte-Rose, Laval
450 622-2522
Ouvert en soirée du mardi au dimanche. Menus à 49 $ ou 59 $ ou, avec sélection de vins (5), 110 $ et 159 $. Une des plus belles tables, Rive-Nord, Rive-Sud et rive du milieu confondues.