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Le Tire-bouchon : "À bon vin, point d'enseigne"

Vieille expression gauloise signifiant que lorsque la qualité est là, on n’a pas besoin d’en parler pour que le client arrive. Ce principe aux antipodes des diktats du marketing moderne fonctionne encore très bien, Dieu soit loué; en 60 versements égaux, comme tout le reste. Ainsi ce Tire-bouchon caché au fond d’un centre commercial de la belle municipalité de Boucherville ne dépense pas trop ses sous en promotion, mais compte plutôt sur le bouche à oreille, principe qui, en restauration, est la clé du succès.

À l’automne dernier, un ex-restaurateur et néanmoins ami me signalait ce petit café-bistro voisin de son nouveau lieu de travail. Le Gros Pierre a un jugement aussi fiable que son coup de fourchette. Un confrère ayant chroniqué sur ces entrefaites, j’ai repoussé ma visite jusqu’au 21 janvier. Vous me remercierez plus tard, quand vous aurez réussi à y faire une réservation sans trop de tracas.

Le Tire-bouchon en question est peut-être caché, mais c’est plus par modestie que pour toute autre raison. Il pourrait, en effet, s’afficher fièrement n’importe où, tant sa cuisine est joliment tournée. Et le reste, à l’avenant. Pour le décor, "soigné" me semble le mieux correspondre à ce que l’on voit. Pas de flaflas, rien de trop ostentatoire, mais une certaine recherche et une élégance certaine. Côté service, ce registre très apprécié que le personnel en salle pratique lorsqu’il travaille bien: pas de familiarité, mais un ton sympathique et une bonne connaissance de la carte et de ses éléments. Le rythme est un peu lent, mais on est samedi soir et la salle est pleine. On en profite pour mieux observer et noter.

Trois soupes, une dizaine d’entrées et une quinzaine de plats principaux. Quelques propositions qui font sourire comme ce "Couscous aux merguez mon frère" qui apporte une note populaire à une carte plutôt classique française.

Pour un critique de restaurant, la principale vertu de la "Salade d’endives aux poires, bleu bénédictin, noix et ciboulette" est de permettre de juger, justement, du bon jugement des gens en cuisine. Mal préparée, cette salade prend instantanément une amertume qui la rend immangeable; mal dosé, le bleu écrase le plat sous son poids un peu lourdaud. Et si l’on essaie de vous refiler un fromage trop vieux, la feuille d’endive, d’une délicatesse extrême, vous le signale en se recroquevillant. Rien de tout cela ici. Une belle petite entrée, fraîche, généreuse et appétissante sans alourdir.

Mêmes commentaires élogieux pour l’autre entrée choisie, une poêlée de champignons sauvages relevés d’un filet de vinaigre de xérès. Tout est là: le parfum moussu du sous-bois, la brume légère qui se lève entre les arbres, chassée par le soleil, le pas léger d’une biche et de ses faons quittant discrètement les lieux. En bouche, resteront les effluves d’un bonheur champêtre.

Filet de morue poêlé et joue de veau de lait en plats principaux. Le premier pour voyager avec le piment d’Espelette et le chorizo, le second pour cet anis et ce fenouil fondant annoncés en accompagnement. Dans les deux cas, le chef réussit à créer l’ambiance voulue dans les assiettes. Le poisson est bien travaillé, poêlé avec retenue et servi sur un lit douillet de lamelles de chorizo et de poivrons rouges, relevé d’oignons, de piment d’Espelette et d’une pointe d’ail. Un ramequin de purée basquaise sur lequel est plantée une belle tranche de chorizo accompagne l’assiette. Pour la joue de veau, la cuisson impeccable a permis d’atteindre le degré de tendreté caractéristique de ce plat. Beaucoup de soyeux dans l’assiette, peut-être une pointe excessive de sucré dans le jus, mais une très belle réalisation dans l’ensemble.

En desserts, trio de crème brûlée, vanille, café et chocolat, déclinée avec élégance et marquise au chocolat digne des meilleures maisons. Arrive l’addition, que l’on trouve raisonnable compte tenu du plaisir passé à cette table.

M. Yassine Belouchi, chef du Tire-bouchon, et toute son équipe prouvent, si besoin était, que petit rime avec joli. Le Tire-bouchon est à ajouter de toute urgence à la liste des bonnes tables méconnues de la Métropole. Enfin, méconnue, plus pour très longtemps dans ce cas-ci.

Le Tire-bouchon
141, boulevard de Mortagne, Boucherville
450 449-6112

Ouvert le midi du lundi au vendredi et en soirée du mardi au samedi. En soirée, préparez une quarantaine de dollars par personne pour une entrée, un plat principal et un dessert. À midi, même carte, mais votre retenue habituelle vous permettra de prendre un repas très satisfaisant pour une portion du prix. Jolie sélection de vins, bien conçue afin de correspondre à la carte. Ici non plus, pas d’esbroufe. Hé qu’on l’aime notre Rive-Sud!